vendredi 20 juillet 2007

Critique "The Three Burials of Melquiades Estrada"

The Three Burials of Melquiades Estrada
de
Tommy Lee Jones
2006

Paru dans la revue Séquences


Je pars à cheval avec Tommy Lee


Tommy Lee Jones a le visage buriné d’un cowboy, l’accent nasillard et la patate chaude du parler cowboy, la nonchalance et l’autorité d’un cowboy. O.K., l’homme vient du Texas et pourrait se substituer à n’importe quel ranger du coin sans jurer avec le décor et la profession : le gaillard était destiné à chausser les éperons au cinéma un jour ou l’autre. À son passe-temps de comédien (Jones gère aussi un ranch), l’ancien coloc d’Al Gore porte également le chapeau de cinéaste dans The Three Burials of Melquiades Estrada (3BME), sa première réalisation pour le grand écran (The Good Old Boys, son crédit initial derrière la caméra dix ans plus tôt, était une production télé). Après avoir perdu le bonhomme dans d’innombrables films au succès relatif, le guerrier a hérité des meilleures conditions possibles pour sortir de son repos.


3BME ressemble à un western, goûte le western mais donne beaucoup plus que ce que le genre a à offrir. Oublions pour un instant que le drame se passe près du Rio Grande, oublions aussi qu’une ballade à cheval et qu’une fusillade font partie de l’itinéraire : le film baigne tout entier dans une atmosphère de funérailles et d’un temps révolu, LES sources inaltérables où s’abreuvent les plus grandes œuvres du genre. Plutôt que de verser dans la nostalgie ou le bête revival, 3BME incarne un western nouveau genre, conscient de ses mythes comme de ses tics, libre et oxygénant dans ses limites, même si son propos chevauche de près celui de The Border (1982) du grand Tony Richardson.


Récit à la linéarité chambardée, 3BME raconte un pas en avant, deux en arrière, le chemin de croix d’un vieux cowboy voulant respecter la promesse de son ami défunt. Le Melquiades Estrada du titre est l’un des milliers de travailleurs clandestins qui ont fui l’aridité du chômage mexicain dans l’espoir de gagner quelques dollars américains sans devoir saluer les douaniers. Rapidement, on apprend que les citoyens texans tolèrent plus cette main-d’œuvre bon marché que les patrouilleurs frontaliers. Estrada travaillait depuis quelques temps à l’ombre d’un rancher de Van Horn, dans l’Ouest de l’État, où il s’est lié d’amitié avec Pete (Lee Jones), vieux jobber célibataire porté sur la bouteille et les femmes mûres.


Pete se lie d’amitié avec Melquiades, il aime sa franchise et a intégré sa culture. Lorsque son cadavre est retrouvé en bordure d’un enclos de vaches près de la frontière abattu par un patrouilleur frontalier, Pete voit rouge et se met en tête de trouver le coupable. Mike arrive de Cincinnati avec sa jeune épouse, il vient de dénicher un emploi au Texas et emménage dans une maison mobile. Incapable de sensibilité, Mike surveille la frontière en portant fièrement et sans questions son badge des forces de l’ordre nationale. Comme rien n’est plus difficile que de distinguer un latino d’un immigrant illégal mexicain, Mike tire sur tout ce qui bouge dans le bout du no man’s land dont il assume la rétention. Ce jour-là, Melquiades a bougé, Mike a tiré, Pete a pleuré. La rumeur donne Mike comme coupable, Pete ira vérifier de visu et kidnapper le ranger, qui avoue le crime par négligence. Pete veut plus et force son compagnon d’infortune à l’accompagner dans le village où vivait Melquiades, suivant sa demande à être enterré près de sa femme et de ses enfants. Mais se pourrait-il qu’il y ait erreur sur la destination?


Alternant flashbacks et flashfowards, 3BME montre partout les allitérations dramatiques propres à Guillermo Arriaga, dont le 21 Grams pourrait bien en être la matrice. Contrairement à son prédécesseur, le film de T. L. Jones met l’emphase sur l’instinct, les valeurs et le rapport au territoire plus qu’il ne repose sur une quelques gimmick temporelle, ce qui laisse toute la place à l’interprétation et à la réalisation. Et quelle réalisation! Pour un coin de pays jugé infilmable, la caméra de Chris Menges a trouvé des éclairages naturels à couper le souffle, spécialement à la brunante, éblouissante et infinie. Le cadre, simple et inventif, scelle les scènes comme de vraies compositions. Avec l’humour et la tendresse propre aux hommes de peu de mots, 3BME remet en selle le western et donne par le fait même à T. L. Jones son plus beau rôle à ce jour. De la belle besogne de vieux routier.


© 2007 Charles-Stéphane Roy