mardi 17 juillet 2007

Rétrospective Pasolini

Rétrospective Pasolini à la Cinémathèque québécoise
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LA BATTUE PASOLINI

La Cinémathèque québécoise consacre un mois à l’œuvre intégrale du grand Pier Paolo Pasolini, assassiné il y a exactement 30 ans, dans la foulée de commémorations similaires tenues en novembre à Rome, Madrid et Cambridge.


Revoir le corpus pasolinien aujourd’hui, c’est redécouvrir de plein fouet les années 1960-75, époque fabuleuse où tous les chemins semblaient mener à Cinecittà, alors Mecque d’un cinéma inspiré, caustique et éminemment renégat, comme avaient l’habitude d’imposer les cinéastes sous oppression. Et d’oppression, Pier Paolo Pasolini en aura souffert toute sa vie, lui qui fut homosexuel et marxiste en plein berceau du catholicisme à l’occidentale, et surtout un formidable réformateur de l’héritage antique en pleine société de consommation, qui déboulonna les mythes fondateurs – des Évangiles aux Contes des mille et une nuits – en osant une démocratie esthétique où le sacré reprendrait sa place dans le profane et le grotesque dans la beauté.


Si les éditeurs Criterion, Waterbearer et la MGM avaient transféré à la hâte le catalogue visible de l’œuvre de PPP sur DVD, il en est tout autre du traitement royal initié par plusieurs donateurs, à commencer par le producteur Dino de Laurentiis, qui ont déterré et poli plusieurs pellicules tombées dans l’oubli, comme sa contribution documentaire et ses courts-métrages, en plus de restaurer avec sous-titres les pièces-clé du cinéaste défigurées jusque là par les copies vidéo fatiguées en circulation. S’il craignait que la mort « n'est pas de plus communiquer, c'est ne plus être compris », il aura fallu attendre 30 ans après son assassinat sur une plage d’Ostie pour redonner à son héritage son lustre et son opulence originales, et peut-être mieux comprendre sa contribution tardive (son premier film, Accattone, fut réalisé à l’âge de 40 ans) mais combien prolifique au cinéma, où il s’afficha à l’occasion comme acteur ou intervieweur devant sa propre caméra.


Il faut voir le documentaire-enquête Comizi d'amore (1965), où PPP prend doublement parti des études sur les mœurs sexuelles compilées par l’Américain Alfred Kinsey quinze ans plus tôt ainsi que de la mobilité et du son synchrone du cinéma-vérité, pour prendre d’assaut l’Italie bourgeoise, paysanne, jeune, âgée, conservatrice ou épicurienne au sujet du «problème du sexe» (sic), du divorce, des gais, de la loi Merlina sur la fermeture des maisons closes ou de la hiérarchie des genres, à une période où on ne pensait même pas à livrer ces choses-là en public. Avec ironie, Pasolini discute avec l’écrivain Alberto Moravia et le psychanalyste Cesare Musatti des témoignages recueillis et conclue que le matérialisme n’a rien changé aux mœurs réprimées des ménages italiens.


Autre perle restaurée, le moyen métrage « La Ricotta » (1963) résume bien la période « borgate » du cinéaste consacrée à la tragédie des défavorisés, alors qu’un figurant souffrant de malnutrition meurt d’indigestion sur une croix lors du tournage de la Passion du Christ dirigé par nul autre que Orson Welles, qui n’hésite pas à répondre à un journaliste que « les Italiens forment le peuple le plus illettré et la bourgeoisie la plus ignorante d’Europe »… Charge tragicomique où la véhémence flirte avec le cabotinage, « La Ricotta » valut à son auteur trois mois fermes de détention pendant lesquels il fermenta sa réplique aux autorités : ce sera L’évangile selon Saint-Matthieu (1964), considéré à la fois comme l’un de ses chefs-d’œuvre absolus et son film le plus déroutant, juste derrière Salo ou les cent vingt jours de Sodome (1976).


Entre les projections de Théorème (1968), Médée (1969) ou Les Contes de Canterbury (1972), profitez-en pour assister à la conférence sur Pasolini donnée par le professeur, critique et cinéaste Serafino Murri (2 novembre, 17h00) ou visiter l’exposition « Pasolini : AUTOBIOGRAPHIE » conçue par l’actrice Laura Betti, que le cinéaste considérait comme son “épouse platonique”, entre le 28 octobre au 17 décembre.


© 2007 Charles-Stéphane Roy