mercredi 18 juillet 2007

FNC 05: Temps Zéro

Festival du nouveau cinéma 2005
Section Temps Zéro
2006
Paru dans la revue Séquences


Désordre et raccommodages


À sa seconde année d’existence, la section Temps Ø constitue le bazar du Festival du nouveau cinéma et ses orientations relèvent particulièrement de la contribution du programmateur Julien Fonfrède, anciennement de FanTasia, par son affection pour le cinéma malaise – l’état, pas le pays – et les constantes déchirures du cinéma asiatique, en mode trouvailles depuis une quinzaine d’années. En fouillant les ruelles plutôt que les quartiers touristiques de la production mondiale, l’équipe de Temps Ø a rapaillé du cinéma résiduel, tentatif, composé d’œuvres bâtardes, dissonantes, brutales d’imperfections. Il faut peut-être habituer l’oeil à se faire bombarder l’oeil de la sorte, mais garder le regard affûté juste ce qu’il faut pour distinguer la brocante d’occasion d’une réelle ébauche d’innovation et de « mutation » dans cette frange fourre-tout du festival.


Dans le pire des cas, la manière se veut hip, tapageuse et clinquante, où le trop-plein d’éléments disparates ne parvient jamais à témoigner d’un quelconque aboutissement, ce qui mine l’irritant Bangkok Loco de la cinéaste et actrice Pornchai Hongrattanaporn, une sensation thaïlandaise fondée sur la référence pop, le cartoonesque le plus frivole et un rythme toujours plus exténuant. L’histoire, un détail, tourne autour du combat de batterie rock entre un surdoué pourchassé pour homicide et un démon plus incontrôlable encore que Keith Moon. La chronologie du récit est constamment déréglée par les interruptions juvéniles d’une ritournelle ou d’une pensée ludique, lorsque ça ne tombe pas carrément dans un cas de vidéoclip bonnement incorporé dans son intégralité. Et il faudrait rire de la chose…


Passons tout aussi rapidement sur Nuit noire du Belge Olivier Smolders, disciple à peine voilé de Peter Greenaway, Guy Maddin et des frères Coen période Barton Fink – autant dire, l’Antiquité du bizarre. Sur les thèmes du double et de l’animalité, le traumatisme post-colonialiste belge se traduit dans la lente métamorphose d’un entomologiste et ses doutes dans l’existence de sa sœur morte lorsqu’il vivait au Congo. Ajoutez à cela la transformation d’une femme noire enceinte dans son lit en cocon géant. Une manne de micro-événements embourbe le film dans un réseau de préciosités esthétiques et de décalages trop superficiels pour partager un tant soi peu l’angoisse dont se réclame le personnage principal. Dans le registre rétro-sensoriel, on préfère de loin le magnifique Innocence de Lucile Hadzihalilovic, présenté au FNC l’an dernier.


Beaucoup plus intrépide et frondeur, le Haze du Japonais Shinya Tsukamoto était le gonflage d’un court métrage claustrophobe et risqué durant lequel un amnésique se réveillait emmuré dans un espace labyrinthique et tentait d’échapper à des pièges mortels en rampant le nez constamment contre les parois. Le cinéaste poursuit ce manège durant près de 50 minutes, provoque une rencontre avec une jeune femme, une poursuite la tête sous des flots de sang et une possible libération. Pas étonnant que le jury lui ait décerné une mention pour le meilleur moyen métrage de la section, car avec si peu de latitude dramatique, Tsukamoto a su gérer habilement la tension de ce Cube taille réduite.


L’autre court-métrage vedette de la sélection était « Cindy, The Doll is Mine » du Franco-Québécois Bertrand Bonello autour d’une idée fort simple : la rencontre entre Cindy Sherman, photographe américaine qui se servait d’elle comme son propre modèle, et la pièce The Doll is Mine du groupe new-yorkais Blonde Redhead. Film de commande sur une œuvre d’art, « Cindy, The Doll is Mine » fonctionne sur le transfert d’identité et d’humeur, passant de la pose aux larmes de manière désarmante, avec une Asia Argento dans tous ses états. La synthèse entre le sujet et la forme fonctionne, bien que la démarche puisse déconcerter les profanes de l’œuvre de Sherman.


Quelques mots pour terminer sur la petite bombe qu’est Late Bloomer du Japonais Gô Shibata. À première vue, prendre un paraplégique alcoolo et le faire assassiner par frustration sent la manipulation et le goût douteux. Mais il s’avère que le traitement du tournage en mini-caméras numériques et la saturation de la bande-son procurent au film une plus-value qui dépasse le cas d’une simple exploitation des minorités, et se traduit par un cinéma véritablement trash. Alors que son sujet se heurte avec douleur aux confins de sa mobilité, Shibata explose d’inventivité et transgresse autant les lois du montage traditionnel que nos limites morales à observer la décadence d’un exclu. Ici seulement peut-on véritablement parler de mutation.


© 2007 Charles-Stéphane Roy