jeudi 19 juillet 2007

Critique "Kamataki"

Kamataki
de Claude Gagnon
2006

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


ENTRE LA JEUNESSE ET LA SAGESSE

Mettez du feu dans la cheminée, Kamataki revient chez nous bardé d’honneurs. Rencontré au FFM 05, Claude Gagnon nous a expliqué comment il a entretenu la flamme ces dernières années.


Il serait hasardeux d’avancer que Claude Gagnon aime les itinéraires balisés. Quelqu’un qui partage son temps d’écran entre le Québec et le Japon n’a certes pas peur de s’éloigner du succès (Kenny – The Kid Brother en 1987) pour noter d’autres réalités que nos mythes nationaux ou la dernière tendance critique. Cela commande le respect, et comme Gagnon revient sur nos marquises avec plusieurs étampes festivalières (cinq prix au FFM 05 et une mention spéciale du jury à Berlin il y a deux semaines), il est temps plus que jamais de réhabiliter en bonne et dûe forme sa contribution à notre cinématographie.


Si le cinéaste de Saint-Hyacinthe a emprunté dernièrement les voies plus confidentielles de la production (Rafales, Histoires d’hiver), on constate qu’il a toujours favorisé des rapports soutenus avec d’autres cultures et d’autres générations (Arto Paragamian, Jean-Sébastien Lord ou Karim Hussain), rapports qui n’ont fait qu’enrichir davantage sa propre démarche. Pas étonnant alors que Gagnon ait axé Kamataki, son plus récent film, autour de la relation qu’entretient un maître potier et son jeune apprenti ; les sentiers menant à la sagesse sont souvent défrichés par ceux qui osent autant prendre le parti de leurs aînés que celui de leur succession.


Hormis peut-être Robert Lepage, Gagnon reste un des seuls cinéastes d’ici à intégrer la culture nipponne dans son œuvre au-delà de la simple anecdote – il est bel et bien fini le temps de Ma petite Japonaise. À plusieurs égards, Kamataki s’avère l’aboutissement de cette passion et cette compréhension de la sensibilité et de l’humour made in Japan et son ancrage le plus réussi avec la personnalité québécoise. Cet heureux rendez-vous part d’une rencontre entre Takuma (Tatsuya Fuji, parfait), un potier taciturne, et Ken-Antoine (Matt Smiley, économe), son jeune neveu anglo-montréalais venu se refaire un moral au Japon après une tentative de suicide avortée.


Suivant le schéma classique du film d’apprentissage et du duo dépareillé, le sage bon vivant accueille le jeune désabusé dans son atelier où il l’initiera à l’art du Kamataki, une session de cuisson ancestrale durant laquelle les poteries se figent dans un four pendant 10 jours consécutifs sous un feu intense qui menace constamment de s’éteindre ou d’exploser. Pratiquer le kamataki, on l’a deviné, requiert patience et discipline, qualités dont devra se plier Ken-Antoine au contact de l’entourage de Takuma, lui-même bon enfant et séducteur impénitent. Par touches minimalistes, la relation filiale entre les deux hommes prend racine et les incite à puiser la force vitale de part et d’autre.


« L’une des choses que je trouve triste dans la vie, c’est que les chances de rencontre et de partage entre les jeunes et leurs aînés sont devenues rares, a déploré un Claude Gagnon volubile au FFM en août dernier. Les plus jeunes ont tout à apprendre mais nous forcent en retour à réfléchir à notre travail, et parfois nous botter le derrière. Mon fils (Samuel Gagnon) fut impliqué dans la production du film, nous avons conservé la même dynamique que lorsqu’il avait trois ans et qu’il m’apprenait déjà des expressions japonaises !»


Gagnon croit-il que le cinéma québécois s’ouvre davantage envers les autres cultures ? « Ça dépend en premier lieu de la sensibilité et des préoccupations des cinéastes, a avancé Gagnon. Notre culture et notre langue nous ont longtemps isolé, mais d’ici peu, je crois que nous allons nous ouvrir davantage encore. En ce moment, nous commençons à engager des acteurs européens ou américains dans nos films et leur écrire des rôles. Mais plusieurs enfants d’immigrants prendront incessamment la caméra et jetteront des ponts entre ce qui ce passe ici et à l’étranger », espère le cinéaste. De toute évidence, Kamataki est le plaidoyer tout indiqué pour que s’accélère cette intégration.


© 2007 Charles-Stéphane Roy