mercredi 18 juillet 2007

Jeonju 06

7e Festival international du film de Jeonju
2006
Paru dans la revue Séquences


Le réel toujours à la rescousse de la fiction au
pays du matin calme


En Corée du Sud, Pusan est la plus grande foire du cinéma. Indéniablement influent, le festival de la métropole balnéaire dessert toute la production asiatique et marque le début de l’année cinéma pour les programmateurs de la Péninsule du matin calme et du monde entier, qui s’y retrouvent de plus en plus nombreux. À côté de ce géant et de son marché impérial, la petite équipe du festival de Jeonju (deux programmateurs et cent fois plus de bénévoles) jouent d’humilité et de discernement à défaut de pouvoir compter sur les imposantes machines promotionnelles des producteurs locaux comme CJ Entertainment et des diffuseurs de l’endroit, qui se sont passablement enrichis par le maintien du quota culturel imposé par le gouvernement aux exploitants de salles coréens – 146 jours de programmation nationale sont obligatoires, sans exception.


La programmatrice Soo-wan Jung et ses collègues se sont donc tournés naturellement vers les œuvres plus audacieuses pour se distinguer de leurs illustres compatriotes et ont forgé une sélection dans l’esprit d’événements comme les festivals de Rotterdam ou du Nouveau Cinéma. Ce qui n’a pas empêché Jeonju de mobiliser ses concitoyens, 600 000 habitants dont plusieurs scolarisés, enregistrant 85 000 entrées aux guichets entre le 27 avril et le 5 mai.


Pour quiconque ayant mis le pied dans les festivals de troisième catégorie un peu partout sur la planète, Jeonju, de par ses dates et sa situation géographique, verse équitablement dans la rétrospective internationale du cinéma d’auteur pointu et le défrichage de nouvelles signatures, déjà passablement scrutées par un Big Three festivalier (Cannes, Berlin, Toronto) surfant sur le hype coréen depuis les dix dernières années. Malgré tout, on pouvait voir défiler les derniers Kyushi Kurosawa (House of Bugs), Pen-ek Ratanaruang (Twelve Twenty) ou Wai Keung Lau et Alan Mak (Initial D).


Pour une rare fois, deux films québécois avaient été retenus par le festival, Familia de Louise Archambault et Les états nordiques de Denis Côté, en compétition de surcroît. Côté est reparti avec le premier prix dans la section Indie Vision, décerné par un jury présidé par Jonathan Rosenbaum, l’encyclopédique critique du Chicago Reader.


Le JIFF était l’occasion idéale de reprendre au passage les titres manqués lors d’événements plus près de nous et de constater sans surprise un ralentissement créatif marqué chez les créateurs émergents, qui s’approprient de plus en plus l’approche documentaire pour remodeler la fiction. Dans Man Push Cart, l’Iranien Ramin Bahrani suit à la trace un jeune Pakistanais pris à charrier son kiosque à café et bagels dans les rues de New York comme un boulet au pied. On apprend que ce dernier était un chanteur fort populaire dans son pays avant d’émigrer avant que la mort de son amie ne vienne miner son destin. En choisissant un vrai vendeur itinérant dans le rôle principal et en terminant son film par un clin d’œil à Vittorio de Sica, Bahrani exploite beaucoup plus le désespoir et la solitude urbaines si évidentes ces dernières années qu’une quelconque forme de néo-réalisme bis. L’action l’emporte constamment sur l’émotion, sans grande invention.


Combat du Belge Patrick Carpentier, deux amants prennent la clé des champs et s’enferment dans la forêt. La narration-confession d’un de ces hommes retrace comment le désir les a rapproché puis les a quitté à la suite d’une série de corps-à-corps bestiaux. Ces 60 minutes sans dialogues délaissent le récit pour se camper dans les sensations à travers une bande son barbare et des commentaires récités à demi-voix. Exténuante et balourde, la démarche se perd en conjectures à force de se séduire lui-même avec un naturalisme par trop intellectualisé.


Brothers of the Head pousse la relation documentaire/fiction à un degré supérieur. Keith Fulton et Louis Pepe (Lost in La Mancha) invoque une nouvelle de science-fiction de Brian Aldiss, un fait vécu en Angleterre dans lequel deux frères siamois sont vendus à un promoteur rock ayant fait l’objet d’un documentaire inédit des années 1970 et « Two-way Romeo », la version cinéma néo-gothique qu’en aurait tirée Ken Russell, dont des segments sont commentés par le (vrai !) réalisateur. Voilà une façon plus appliquée que la moyenne de forcer le jeu du documenteur musical, sinon une histoire pauvre en éléments rocambolesques mais richissime dans l’interprétation des frères Treadaway en petites pestes de cirque et le traitement vintage du directeur photo Anthony Dod Mantle. À défaut de convaincre, autant cet effort de fausse réalité nous fasse sourire.


© 2007 Charles-Stéphane Roy