mercredi 18 juillet 2007

Critique "Thumbsucker"

Thumbsucker
de Mike Mills
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


FlÈme au foyer

Fais pas çi, fais pas ça : les ados de Thumbsucker n’avancent pas les doigts dans le nez. Tilda Swinton et Mike Mills nous ont causé autorité et cravates au récent Festival de Toronto.


Les indies américains se classent désormais en quatre clans souvent discernables – la déchéance hyperréaliste, les chassés-croisés chics, le portrait banlieusard et les “malfratries” – peuvent se recouper à l’occasion. Normal donc que ça use l’enthousiasme à la longue. Le cas Thumsucker aurait dû éveiller les pires soupçons d’un probable malaise adolescent ressenti par un réalisateur ayant grandi entre le bungalow et le centre d’achats, surtout si celui-ci avait mis en clips les branchés Air, Pulp et Moby. Et pourtant, le premier long métrage de Mike Mills parvient à redonner au récit initiatique ses lettres de noblesse sans verser dans l’excentricité de circonstance et la leçon de croissance personnelle à laminer. À partir du roman de Walter Kirn, Mills s’est concentré sur ses personnages, nombreux et nuancés, plutôt que sur les plis de leur pantalon ou de leur attitude, avec à leur tête Lou Taylor Pucci (surveille tes arrières, Haley Joel Osment), le confiant comédien au pouce stationné dans la bouche et à la voix pas complètement muée qu’on retrouvera bientôt dans Chumscrubber, autre fable écolière, et l’attendu Southland Tales de Richard « Donnie Darko » Kelly.


Suce-pouce est le sobriquet de Justin, un étudiant pris entre un père amorphe et une mère qu’il soupçonne trop dégourdie pour tenir longtemps le fort familial. Indiscipliné et démotivé, Justin tombe dans le Ritalin et se met à compétitionner lors de débats interscolaires. Pot et sexe suivront avant la fin des cours et la prochaine rencontre avec son orthodontiste nouvelâgeux. « Personne n’a de réponses à 17 ans, mais il demeure que nous n’en avons pas plus après !, s’exclame Mike Mills, rencontré à Toronto. Le film n’est pas seulement un récit initiatique, car les adultes accusent aussi plusieurs faiblesses et doivent s’ajuster face aux changements, ce qui rend plus difficiles encore les égarements de Justin, car il ne reconnaît plus aucune figure d’autorité pour en retirer une quelconque sagesse. »


Sobre de facture, Thumsucker emboîte de manière classique des réflexions interpersonnelles audacieuses et, une fois n’est pas rare, porteuses d’espoir et de compréhension. « Je me suis inspiré de Hal Ashby, du Ordinary People de Redford et de trucs plus contemporains réalisés par Wong Kar-Wai et Lynn Ramsay, enchaîne Mills. Mais je dirais que l’atmosphère du film doit beaucoup au disque Harvest de Neil Young, qui jouait souvent entre les prises sur le plateau, car ses chansons nous enseignent toujours la même chose : c’est le bordel partout, mais tout ira bien. »


Assise à sa gauche, Tilda Swinton explique avec charme et clairvoyance sa relation avec le cinéaste : « J’ai une affinité évidente avec les réalisateurs qui en sont à leurs débuts, tels que Francis Lawrence, Tim Roth, Scott McGehee, Sally Potter et d’autres. Comme leurs premiers projets prennent du temps à se financer, nous pouvons explorer en profondeur les personnages. Et ceux-ci mettent beaucoup de cœur à l’ouvrage car ils ont tout à prouver. C’est éminemment stimulant », confirme l’actrice, qui a apprécié l’improvisation sur Thumbsucker. « Il y a toujours une quelconque forme d’improvisation de toutes façons par la manière dont nous devons adopter notre approche selon l’évolution des situations, surtout lorsqu’il s’agit de communication au sein d’une famille. Et la meilleure manière de ne pas communiquer reste de parler tout le temps ! », s’exclame Swinton.


Pour passer le message, Mills s’est acquitté de son premier long métrage vêtu à toute heure d’un complet veston-cravate. « Comme je ne croyais impressionner personne avec mon expérience limitée, j’ai cru que le complet pouvait projeter une image d’autorité auprès de mon équipe. On ne questionne pas un médecin en sarrau! Et j’ai dû sucer mon pouce pour me rappeler de quoi il en retournait.» Col noué ou pas, Mills a bien fait ses devoirs et devrait éventuellement graduer après ce passage dans les rangs indies. Souhaitons-lui bourses et promotions.


© 2007 Charles-Stéphane Roy