mercredi 18 juillet 2007

Critique "Clerks 2"

Clerks 2
de Kevin Smith
2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


TOUJOURS À VOTRE SÉVICE

Les poches pleines mais en panne d’idéaux, la Génération X tente son retour au cinéma. Clerks 2 est-il assez cool pour les moins de 25 ans ?


Voilà déjà 12 ans que les infâmes commis au service à la clientèle de Clerks ont ébranlé le monde du cinéma indépendant avec leurs répliques parfois vulgaires, mais toujours assassines. Après avoir flirté avec les gros budgets, les vedettes… et les échecs, Smith s’est mis à s’ennuyer du cinéma de garage de ses débuts, alors qu’il écrivit et réalisa Clerks avec son salaire annuel de commis de dépanneur dans son New Jersey natal.


Revoilà donc Dante le frustré et Randal la langue sale accompagnés (malgré eux) de Jay et Silent Bob, les deux revendeurs de drogues les moins discrets de leur quartier. Ils sont maintenant trente ans et ont déserté le commerce au détail à la faveur d’un restaurant de fast-food, le Mooby’s. S’ils affichent désormais un double menton et un petit bedon, les deux compères s’amusent toujours aux dépens de leur clientèle (qu’ils méprisent) et de leurs collègues de travail (dont ils abusent). Un de ceux là est Elias, un chrétien vaguement efféminé vendu aux Transformers et au Seigneur des Anneaux. Tête de Turc de l’établissement, Elias essuie quotidiennement la rafale d’injures et de commentaires futiles de Randal, qui ne digère pas l’éventuel départ de son vieux pote Dante, amouraché d’une fille à papa avec laquelle il s’apprête à déménager en Floride. Becky, la gérante du Mooby’s, envisage également ce départ avec regret, surtout depuis que Dante et elle se soient retrouvé les culottes baissées après les heures d’ouverture.


Le scepticisme que pouvait provoquer pareil projet cède rapidement sa place à la bonne humeur : 12 ans plus tard, les personnages de Kevin Smith n’ont toujours pas évolué, pas plus que les habiletés du grassouillet et sympathique barbu derrière la caméra, et on s’en fout. Clerks 2 reste une machine à blagues grasses bien huilée, et quand il ne se fait pas trop sentimentaliste ou ne tombe pas carrément dans l’auto-référence, peu s’en faut pour que le charme de ses personnages opère à nouveau, même artificiellement. Alors que son prédécesseur balançait toute notion de progression dramatique à la faveur d’un défilé bancal de personnages aux manies bien typées, Clerks 2 se concentre sur son sextuor de gagne-petit et lève le majeur sur des cibles plus nettes : le sexe, l’ambition, la culture populaire et surtout la religion – Smith a d’ailleurs longtemps jonglé avec Passion of the Clerks comme titre de travail avant de se rétracter.


En voyant Clerks 2, on constate une fois de plus que le cinéma indépendant, comme la musique alternative, sont devenues des reliques d’un passé où l’enthousiasme et la spontanéité pouvaient accoucher d’œuvres sans censure, mais dont l’âme et le parfum n’ont plus le même écho aujourd’hui. Richard Linklater avait déjà franchi le Rubicon de la nostalgie en commettant Before Sunset, la suite de son influente romance de 1995, et plusieurs autres ex-rebelles de l’époque, tombés depuis dans l’oubli ou la redondance, pourraient également se laisser tenter par un retour sous le parrainage d’un grand studio. À quand un Kids : The Return ou un Welcome (back) to the Dollhouse ?


© 2007 Charles-Stéphane Roy