jeudi 19 juillet 2007

Critique "Three Times"

Three Times
de Hou Hsiao-hsien
2006

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LE PRÉSENT DE LA MUSIQUE

Three Times est l’oeuvre d’un vétéran pour qui l’écho du passé résonne plus que le vacarme d’aujourd’hui. Maîtrisé et un brin daté à la fois.


Vedette incontestée du cinéma d’auteur de la fin des années 1980, le Taïwanais Hou Hsiao-hsien souscrit toujours à un idéal esthétique qui a le propre de diviser les fans de signatures éprouvées. Les Anglos qualifient ce type d’approche de « sophistiquée » ; on ne saurait trouver terme plus juste et plus surfait. Un tempo lent, ça n’affecte plus grand monde ; des acteurs économes, les marquises Art et Essai en affichent depuis belle lurette. Non, ce qui titille ou agace devant un Hou reste cette manière de conjurer la modernité non pas dans ce quelle a de plus déroutant ou d’excitant, mais plutôt dans le désoeuvrement et l’indépendance créés par le mythe du No Future.


Cette manière de concevoir l’existence diluée par les libertés qu’occasionne le progrès n’est pas pour s’améliorer dans Three Times (dont le titre original signifierait « le meilleur des moments »), expérimental dans sa forme mais passablement simpliste dans son discours. Drame en trois actes, le dernier Hou s’affaire à décliner les multiples échecs amoureux causés par un manque de communication d’abord d’ordre moral, ensuite social et enfin psychologique. Devant ces personnages si peu loquaces, Hou a cru bon de traduire en musique leur réalité émotionnelle, les mélodies devenant tout ce qui reste d’harmonie et de sentiments entre les amoureux.


Deux grands acteurs endossent les six principaux personnages du film : Chen Chang, acteur charismatique d’esprit et de corps vu dans Crouching Tiger, Hidden Dragon et Happy Together, mais surtout la juvénile Qi Shu, qui tourne à peu près trois films par année depuis ses débuts, ont tout pour qu’on tombe amoureux d’eux. Reste qu’il faut plus que des têtes de cinéma, aussi magnétiques soient-elles, pour soulever trois histoires et transcender trois époques.


UN COUPLE, TROIS PÉRIODES

1966 : en entrée de jeu, les badineries du segment « Un temps pour l’amour » entre un soldat en permission et une tenancière à travers le réseau de salles communautaires de snooker taïwanais baignent sur la mièvrerie du « Rain and Tears » d’Aphrodite’s Child et du « Smoke Gets in your Eyes » des Platters, des slows rétro qui ne vont pas sans rappeler l’ambiance d’In the Mood for Love. L’idylle platonique de ces adolescents se déroule entièrement dans les regards échangés le menton vissé au plancher, le sourire gêné et la gorge nouée.


1911 : second retour en arrière. L’épisode intermédiaire « Un temps pour la liberté » renvoie à l’époque où Taiwan est sous joug japonais tandis qu’une courtisane sollicite le concours d’un jeune révolutionnaire pour l’aider à s’affranchir de son bordel. Comme dans un film muet, les intertitres sur fond de piano incessant comblent la distance entre ce faux couple d’intérêts sans toutefois sacrifier l’actualité du jeu des acteurs et de la direction photo.


2005 : dans le Taipei des cellulaires et des motocyclettes, notre couple d’acteurs incarne un photographe et une chanteuse immatures et impulsifs. Tous les textos échangés dans « Un temps pour la jeunesse » ne parviennent pas à inciter nos amants à s’intéresser à l’autre, trop pris à sublimer un individualisme hors de tout attachement culturel ou même interpersonnel.


TROIS VUES

De ces actes, trois manières d’aborder Three Times viennent à l’esprit. D’abord celle d’un projet ambivalent à la genèse en colimaçon. La proposition initiale invitait Hou et deux autres cinéastes à réaliser un court métrage, mais faute de moyens, le Taïwanais dû prendre seul les commandes du film, réécrire en entier l’épilogue et modifier considérablement l’épisode central. Entre l’aboutissement d’un style et le redressement d’une entreprise désorientée, les épisodes s’enchaînent sur les talons.


Sinon, Three Times passe aisément pour un luxe d’esthète dont la manière accuse son âge. Avec clarté, éloquence et de menus accessoires, le cinéaste recrée le poids d’une époque sur les émotions. Le geste final du prologue, prude et éloquent, résume de brillante façon cette idée d’un désir consumé à la puritaine, magnifié dans la distance. Les références au corpus de Hou, dont Les Fleurs de Shanghai, portent aussi à croire que le temps de son oeuvre est plus à la récolte qu’au labourage.


On pourrait enfin voir Three Times comme une figure imposée bien de son temps. L’exercice de style, la nostalgie, les jeux de réflexion entre les personnages, la « perdition de la jeunesse »™… rien pour déboussoler le DVDphile allumé. Force est de constater que Hou Hsiao-hsien marque plus de points en parlant de sa génération ou celle de ses grands-parents qu’en se voulant le porte-parole des twentysomething d’aujourd’hui. La mélodie est rassurante, mais les paroles n’ont plus le même sens.


© 2007 Charles-Stéphane Roy