vendredi 20 juillet 2007

Entrevue avec Christian Petzold

57e Festival de Berlin
Entrevue avec Christian Petzold
2006
Paru dans la revue Séquences


On attendait beaucoup de Yella, le 5e film de l’Allemand Christian Petzold, toujours associé à tort ou à travers à une prétendue École de Berlin, incarnant un cinéma assumé, frondeur et accessible. La fierté allemande allait toutefois laisser passer la plupart des récompenses au palmarès de la 57e Berlinale, où Yella était scruté par le jury présidé par Paul Schrader.


Nina Hoss s’est bien s’emparée de l’Ours d’argent de l’interprétation féminine, toujours est-il que Yella, éloge plein écran d’une actrice fragile et insaisissable, dénote un Petzold en surplace. Rarement est-on frappé d’inquiétude ou de sympathie pour le personnage principal, partie en cavale pour fuir un ex-partenaire et amant violent. Toujours à la remorque des événements, Yella ne tarde pas à tomber dans l’engrenage d’un exécutif distant et ambitieux (le toujours solide Devid Striesow), parti sur la route de Hanovre escroquer des clients en attente de financement. Troublée par des fantômes, Yella lutte contre son passé et un accident de voiture qui aurait pu modifier le cours de sa vie. Le dénouement, sensé expliquer le film, tombe à plat par sa prévisibilité. Séquences a relevé les commentaires du réalisateur à la sortie de la première de Yella à Berlin.


L’INSPIRATION

« Une de mes nouvelles préférée, écrite par Rudyard Kipling, racontait comment un soldat condamné à la pendaison parvenait à s’échapper et mener une nouvelle vie avant de s’apercevoir que son cou tenait toujours au bout de la corde avant qu’elle ne se raidisse. Cette vie ‘pas encore vécue’ m’a fasciné, et ce fut le point de départ de Yella. »


LA TONALITÉ

« La saturation des couleurs rappelle avec raison plusieurs films allemands. C’est surtout un effet peu coûteux, qui contribue à évoquer cette impression de perte que ressent Yella. Je cherchais à mettre en contraste les habits rouge vif de mon héroïne avec le vert prononcé du champ où se déroule l’accident. Tandis que le gris et le bleu des édifices métropolitains, on ne peut pas y échapper ! »


LE CONFORT ALLEMAND

« Nous avons tourné le film près de Hanovre, où se déroulaient quelques parties de la Coupe du monde de football l’an dernier, tout le monde était dans un état d’esprit euphorique. La production ressemblait au contrepoids de cette allégresse, alors que l’économie allemande, si elle fait plusieurs heureux, engendre plusieurs banqueroutes et des suicides. La nouvelle Allemagne n’y échappe pas, au même titre que les pays industrialisés. Nous avons cherché à incarner cette rupture de l’ordre ambiant par l’utilisation du son. Les bruits causés par l’accident incarnent bien cette idée : la spontanéité du bruit reste plus longtemps en tête que l’image des éclats de la collision d’une voiture, par exemple. Il fallait que tout soit amplifié. »


LA MUSIQUE

« Dans la plupart de mes films, un air est joué à plusieurs occasions (« Mä » de Tom Zé dans Gespenster, les pièces de Burt Bacharach dans Toter Mann), comme un motif qui revient habiter les lieux dans lesquels évoluent les personnages. Ça fait 10 ans que je collabore avec le compositeur Stefan Will et nous nous poussons mutuellement à incorporer de manière originale la musique dans le film. La musique fut enregistrée avant le film, ce qui nous a permis d’ajuster le ton d’une scène en écoutant les pièces. Lors du tournage de Yella, nous faisions jouer en boucle la pièce « Road To Cairo », une chanson de David Ackles interprétée ici par Julie Driscol, même si elle ne figurait pas dans la scène. Nous avons observé que Nina ne bougeait pas de la même manière en ayant la mélodie en tête. Quant à l’utilisation de la « Sonate à la lune », c’était une évidence, comme un lien qui unit l’intime et le public, alors que la pièce fait partie de notre ‘inconscient hôtelier’, du panthéon de la muzak. ! »


LA NOUVELLE ÉCOLE DE BERLIN

« Elle n’existe tout simplement pas. C’est une pure fabrication des critiques ! Le terme est mal employé, alors qu’il n’indique aucune formation commune, que nous ne partageons aucun standard… Christoph Hochhäusler, Angela Schanelec, Andreas Dresen, Valeska Grisebach, Benjamin Heisenberg, Ulrich Köhler, Matthias Luthardt, Ayse Polat, Maria Speth, Henner Winckler et moi formons tout sauf une Académie. Alors que je n’entretenais que peu de liens avec les autres, je dînais avec Christoph Hochhäusler l’été dernier et j’ai évoqué à la blague l’idée d’un manifeste. Nous avons éclaté de rire ; c’est à ce moment que j’ai réellement commencé à aimé les membres de ce prétendu groupe.»


© 2007 Charles-Stéphane Roy