mercredi 18 juillet 2007

Critique "Walk the Line"

Walk the Line
de James Mangold

2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


JOHNNY ET JUNE

Walk the Line nous rappelle que Johnny Cash n’était juste qu’un homme en noir avant d’unir sa destinée avec celle de June Carter. Et que Joaquin Phoenix et Reese Whiterspoon sont de brillants acteurs. On les a écoutés au Festival de Toronto.


À la vue de Walk the Line, le constat est flagrant : le biopic est au cinéma ce que les groupes hommages sont aux artistes originaux, à savoir un best of avec perruques. Suivant un agencement de coïncidences et de rendez-vous avec le destin compactées avec la foi de ceux à qui « ça devait arriver », le biopic préfère les coulisses au devant de la scène.


Pour connaître Johnny Cash, il faut écouter ses albums, une centaine au total ; pour le comprendre, les documentaires feront l’affaire. Mais pour perpétrer sa légende, rien ne vaut une bonne dramatique, avec le son, les couleurs, la musique remasterisée et un parcours du combattant où il fait bon savoir à l’avance comment ça finit. Surnommé « l’Homme en noir » à cause de sa mythique garde-robe funéraire, Cash s’était gagné une nouvelle légion de fans avec la série American Recordings I-IV, sur laquelle il reprenait avec humilité les standards de ses héritiers spirituels Nine Inch Nails, Bonnie Prince Billy, Tom Waits, Nick Cave, U2 et Beck. Comme Ray Charles, Cash décèdera peu de temps après avoir rencontré celui qui l’interprétera au grand écran. Et il ne pouvait trouver acteur plus approprié que Joaquin Phoenix.


Comme Capote (sortie : décembre), Walk the Line se concentre sur une période charnière dans la vie de l’artiste plutôt que de survoler son parcours en oblique du berceau à la morgue. Dès sa mobilisation militaire en Allemagne, Cash compose en cachette des chansons et rêve de rencontrer June Carter, une cover girl depuis l’enfance. À son retour à Memphis en 1957, Cash enregistre des 45 tours pour Sam Philips et fait la tournée des amphithéâtres de village en compagnie de sa bonne étoile Carter et de futures légendes : Lee Lewis, Orbison, Presley. Il lui faudra quitter sa femme puis vaincre sa dépendance aux amphétamines pour obtenir la main de sa dulcinée après une cour qui aura duré près de 10 ans. Le rideau du film tombe juste avant sa conversion born-again des années 1970 et son retour sur les palmarès.


« Avant Cash, la musique était surtout axée sur le confort et une joie de vivre un peu superficielles, genre Doris Day, analyse Joaquin Phoenix. Cash parlait de gens troubles et d’infortune, comme lorsqu’il écrit “J’ai tué un homme à Reno / Juste pour le voir mourir” : c’était avant le film Psycho, avant Taxi Driver. » Le mal de vivre faisait son apparition dans la culture, ça allait avec son époque : loin des problèmes existentiels des écrivains beatnicks qui sévissaient un peu plus au Nord, les chansons du chanteur parlent de prisonniers, de chômeurs, d’alcooliques et de famille. Et bizarrement, ses thèmes traditionnels toucheront les plus excentriques des artistes contemporains. « La musique de Cash évolue en même temps qu’il vieillit et des changements autour de lui, ajoute Phoenix. Et la lecture de ses paroles est essentielle pour saisir le personnage. »


Selon Reese Whiterspoon, il ne faut pas négliger non plus le rôle de sa seconde femme sur la tournure de sa carrière : « Non seulement June et Johnny apprenaient à faire de la musique et vivre en tournée, mais avant tout, ils devenaient des adultes et étaient confrontés à leurs responsabilités. La relation entre Carter et Cash n’avait rien à voir avec tous ces couples formant des duos populaires, comme Sonny et Cher. Ils étaient en symbiose l’un et l’autre ; ce qu’ils chantaient ensemble respirait l’harmonie d’un couple qui se tient à travers les épreuves. Johnny avait un “trou dans le cœur”, et elle était l’antidote », conclue l’actrice.


Walk the Line a beau suivre une ligne prévisible et un brin arrangée, la vérité sur l’auteur déchiré de « Flushed From the Bathroom of Your Heart » et « The Kneeling Drunkard’s Plea » se trouve indéniablement dans les chansons interprétées par Phoenix à l’écran. Et ça, ça ne ment pas.


© 2007 Charles-Stéphane Roy