jeudi 19 juillet 2007

Critique "Neil Young: Heart of Gold"

Neil Young: Heart of Gold
de Jonathan Demme

2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


POUR QUELQUES PÉPITES DE PLUS

Il faut peut-être être fan pour apprécier Neil Young: Heart of Gold. Mais on peut tout aussi bien le devenir.


Chant du cygne pour notre Canadien errant? Neil Young n’aura jamais paru aussi serein et généreux que dans Neil Young: Heart of Gold, la captation cinéma de la première mondiale de son album « Prairie Wind » enregistré à Nashville en 2005. En fait, on s’étonne surtout de la clémence inédite du chanteur envers son public, lui qui avait toujours rigoureusement négligé les attentes de l’industrie et de ses fans, quitte à se faire poursuivre par son propre label. Artiste prolifique capable du meilleur comme du pire, Young a composé son dernier CD d’un seul souffle à l’annonce d’un anévrisme au cerveau. Et lorsqu’on a 60 ans, figure mythique ou pas, on a forcément moins la tête aux hymnes qu’à l’introspection.


Il faut dire que Young avait déjà gracié le grand écran de sa voix chevrotante, son jeu de guitare sloppy et ses déhanchements ouvriers à plusieurs reprises auparavant, devant et même derrière la caméra – le noyau dur de ses admirateurs n’ont encore d’yeux et d’oreilles que pour Rust Never Sleeps, son show spécial spatial de 1979. Que peut donc bien apporter Neil Young: Heart of Gold au moulin du Musicman-Farmer ? Loin des divagations passées de Young – son essai à la Giorgio Moroder, un disque entier de feedbacks et, plus récemment, l’opéra pro-verts Greendale – ce spectacle entièrement orienté sur le dépouillement et le retour aux racines montre un Young lucide comme jamais auparavant sur ses capacités, son œuvre et la contribution inconditionnelle de sa famille musicale.


Après une intro composée de courtes entrevues avec les musiciens, le rideau s’ouvre sur les 10 pièces de « Prairie Wind » enchaînées avec enthousiasme par le chanteur et sa bande, dont font partie Emmylou Harris et sa douce Pegi Young. La seconde moitié du concert voit Young la pédale dans le rétroviseur : l’auditoire réagit fortement à « Old Man », « Heart of Gold » et « Needle and Damage Done », trois titres de l’album Harvest que l’ami Neil écartait depuis ses premières humeurs de jeune idole, et à « I Am a Child », hymne hippie à la mélodie indémodable. Fuyant les effets tapageurs, les anecdotes nostalgiques ou les appels au délire propres aux concerts rock, Neil Young: Heart of Gold simplifie l’exécution du Kid de Toronto pour mieux mêler l’inédit et le classique, comme si toute l’œuvre du chanteur accusait momentanément le même âge.


La nature même de ce concert appelait d’emblée Jonathan Demme, réalisateur de l’éprouvé Stop Making Sense, qui ose ici des trucs sacrilèges pour un concert filmé – un plan-séquence, une présence minimale du public, filmer les tics buccaux du batteur – pour mieux mettre en valeur certains micro-événements comme Larry Cragg balayant la scène (littéralement!) durant « Harvest Moon », un Neil Young troublant de ressemblance avec Hank Williams durant « This Old Guitar », hommage à cette même légende, ou l’alliance hybride entre des artistes country, un big band, un chœur gospel et un ensemble à cordes. De tout pour tous donc dans ce chaleureux film-somme. Ne manque que le bourbon, les amis et la véranda.


© 2007 Charles-Stéphane Roy