mercredi 18 juillet 2007

Critique "Tout un hiver sans feu"

Tout un hiver sans feu
de Greg Zglinski
2006
Paru dans la revue Séquences


Le cœur en jachère


La sélection suisse à l’Oscar 2006 du Meilleur film en langue étrangère s’est portée sur un film romand tout simple et fort chaleureux, Tout un hiver sans feu, le premier long métrage de Greg Zglinski récompensé de deux prix à la Mostra vénitienne en… 2004. On se surprend toujours qu’aucun distributeur québécois n’ait fait l’acquisition de ce film à budget modeste qui partage le même esprit de retenue et le sens du cérémonial que les œuvres de Bernard Émond ou de Francis Leclerc. Et on s’étonne toujours que les cinéastes de l’hémisphère nord ne filment pas plus souvent l’hiver et sa neige, qui appelle ce type de film lent, âpre et quelque peu solennel.


L’imagerie de la lumière et de la chaleur fait partie d’une certaine esthétique suisse, qu’on retrouve autant dans la littérature qu’au cinéma – en 1987, l’adaptation lumineuse du célèbre roman de Charles-Ferdinand Ramuz Si le soleil ne revenait pas réalisée par Claude Goretta plantait son décor funéraire sur des cimes menacées par l’absence de lumière, ce qui bouleversait un petit village montagnard. Chez Zglinski, le feu d’une étable cause la mort d’une fillette et la faillite de ses parents, qui y ont perdu plusieurs vaches laitières. Sans le sou et isolés, le couple peine à reprendre pied avec la culpabilité du décès accidentel de leur progéniture. Jean, le père, veut vendre la ferme familiale et aller travailler à l’usine de la ville. Laure, sa femme, se replie sur elle-même et passe un séjour en clinique pour expier sa peine. L’hiver blanc et immaculé, ce sera pour les autres; l’hiver de Jean et Laure est plutôt gris, froid, humide et porte les traces de la mort à chaque banc de neige.


C’est alors que Jean décide de s’ouvrir à autre chose. En partageant le quotidien de ses nouveaux collègues fondeurs, sa douleur s’exprime physiquement et le met sur le chemin de Kastriot et Labinota, deux érudits kosovares dont l’asile suisse les a relégués au rang de simples ouvriers. Mais, comme frère et sœurs, ils ont échappé à l’horreur et ne se plaignent pas de leur sort. Labinota attend toujours que son fiancé vienne la rejoindre et se met à fréquenter Jean depuis que celui-ci a placé temporairement sa femme en institution psychiatrique. Ils vont se confier chacun leurs tragédies personnelles sans se lancer dans une idylle pour autant : reprendre contact avec soi par l’énergie de nouvelles accointances importe plus que de vivre un amour éclair. Lorsque le printemps revient prendre sa place, Laure et Jean envisagent de se rapprocher au terme d’un deuil passé à l’ombre de l’autre.


Tout un hiver sans feu place la plupart de ses billes sur Aurélien Recoing, abonné aux rôles de parent en situation de crise (L’emploi du temps de Laurent Cantet, Gespenster de Christian Petzold). L’acteur occupe presque tous les plans, et lorsque c’est le cas, la caméra n’a d’yeux que pour lui, grand chêne vacillant à la force trouble et redoutable générateur d’émotions brutes dont les frères de sang pourraient être autant Ed Harris que Raymond Legault. Il est vrai que sans sa présence au sommet du triangle émotionnel avec une femme qui déraille et une amie qui a peur des hommes, tout le film s’écroulerait dans un pathos sans répit.


Car ce film pastoral, aussi calibré que sa réalisation puisse être, fait résonner les cloches d’un dépouillement expressif parfois proche de la mortification émotive propre à un certain cinéma janséniste d’éducation judéo-chrétienne. Ce qui peut devenir lourd à la longue, surtout lorsque Laure se met à régresser jusqu’à devenir sa fille en se faisant des lulus sur la tête et des dessins à la gouache sur les bras.


Tout calculé qu’il soit – et le compte est bon, malgré des raccourcis psychologiques et certains incidents forcés, Tout un hiver sans feu sollicite par trop l’empathie du spectateur en le guidant sur un chemin de croix rassurant de logique et de morale, choix légitime au demeurant, mais écrit d’une manière si télégraphiée qu’on en vient à deviner à tout moment ce qui se passera dans les cinq minutes suivantes.


Sans verser dans une banale douleur pour autant, le film soutient le paradoxe qu’une insoutenable douleur peut être communiquée par des personnages peu bavards, vaste programme s’il en et un, mais ouvre toute grande la porte d’une vie possible après la mort d’un être cher. Sans être tout à fait réussi, Tout un hiver sans feu frôle l’universel sans gimmicks et pourrait certainement connaître un certain succès fraternel chez les cinéphiles québécois.


© 2007 Charles-Stéphane Roy