jeudi 19 juillet 2007

Le financement du cinéma québécois

Le financement du cinéma québécois
2006
Paru dans la revue Séquences


Les sous pour le faire


Depuis le dévoilement des projets de longs métrages retenus lors du second dépôt de 2006 par Téléfilm, l’industrie du cinéma québécois est aux abois. Pendant que les producteurs déplorent les maigres budgets alloués aux films francophones en les comparant à ceux du Canada anglais (qui récolte 2/3 de l’enveloppe annuelle de l’investisseur culturel fédéral), les réalisateurs, par l’entremise de Jean-Pierre Lefebvre, actuel président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), en profitent pour régler le compte des enveloppes à la performances mis en place sous le régime Richard Strusberg pour améliorer les recettes aux guichets au pays.


La Coalition cinéma avance par ailleurs que les producteurs bénéficiaires de cette enveloppe préfèrent investir ces sommes complémentaires dans d’autres vaches à lait plutôt que dans des projets à valeur artistique accrue. On s’échange des lettres ouvertes dans les pages du Devoir, et les médias relaient toute l’information possible, même la moins pertinente, sur le sujet. Alors que la saga des festivals s’essouffle dans l’intérêt public et que le conflit syndical entre l’AQTIS et IATSE s’enlise, un nouveau cheval de bataille, qui devait pourtant réunir les forces vives de notre industrie toutes allégeances confondues, fait son chemin et monopolise les forums. Ajoutez à cela une baisse de la production annuelle et une moyenne de fréquentation en salles en deça des attentes des exploitants : les lendemains du millésime 2005 sont décidément bien gris.


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C’est le chiffre magique (ou plutôt la moyenne idéale) de films estimé par les distributeurs, les exploitants de salles et les producteurs, pour permettre au cinéma québécois de générer un impact significatif dans la collectivité. Soit. Mais en admettant que les succès récents ne puissent être répétés bon an mal an, quand bien même nos cinéastes les plus en vue seraient assurés de contribuer à l’offre avec leur livraison biannuelle, la part de marché rêvée, plus de 20% en 2005, est une exception difficile à répéter. Est-ce possible ? Peut-être, si Patrimoine Canada débloque de nouveaux fonds annuels pour la production d’ici, et que les astres s’alignent pour que deux ou trois cinéastes connaissent leur moment de grâce durant la même période fiscale.


Néanmoins, cette possibilité ne masquera jamais complètement un fait indéniable : le cinéma est de moins en moins considéré comme le loisir principal de nos concitoyens, et ce malgré les efforts investis pour inciter les Québécois à visionner des vues québécoises. Même la France, qui a produit le nombre record de 240 films (!) en 2005, subit une désaffectation du public en salles. Ce n’est donc pas une question nationale, mais la transition inévitable que subissent tous les territoires où on peut avoir accès à l’Internet, aux jeux vidéo, au câble, à la HD, etc.


Des solutions – forcément temporaires – planent pour consolider les assises récemment établies par les succès des six dernières années. La plus évidente demeure cette mythique taxe perçue sur le billet d’entrée, qui serait versée dans un fonds destiné à la production de longs métrages québécois. Ce système de redevance, mis de l’avant en France et gérée par le CNC, toucherait la totalité des films présentés ici, peu importe leur origine, ce qui n’est pas pour plaire à Hollywood et à l’Association des propriétaires de cinémas et ciné-parc du Québec (APCCQ), qui verraient une partie de leurs profits leur échapper.


L’avantage de cette méthode serait que la production annuelle serait conséquente avec les revenus annuels : plus de profits, plus de films, et inversement. L’inconvénient, c’est qu’on ne sait trop qui devrait gérer et redistribuer les gains perçus : la SODEC ? Téléfilm ? L’Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ) ? L'Association canadienne des distributeurs de films (ACDF) ? Un comité indépendant formé de professionnels oeuvrant dans différents secteurs de l’industrie ? Le problème de la diversité culturelle demeurerait entier : une plénitude financière avantagerait quel type de cinéma ? Sur la production annuelle d’une vingtaine de films souhaitée, ferait-on une plus grande place aux longs métrages documentaires, aux premières œuvres et aux films des vétérans (qui ont presque tous disparus de nos écrans) ? Est-ce qu’un créneau d’animation pourrait voir le jour et s’implanter ?


La question des écrans reste également irrésolue. Ce volume et cette diversité espérés sauraient-ils se frayer un chemin jusque dans les régions ? Avec la fermeture du Cinéma du Parc, la sous-utilisation de l’Impérial et l’incertitude entourant le Parisien, est-ce Montréal a encore l’espace nécessaire pour accueillir une dizaine de films québécois supplémentaires ?


À DÉFAUT D’UN MAGOT, IL FAUT VOIR AILLEURS

Alors que les producteurs les plus médiatisés usent de lobbying et attendent le soutien de Patrimoine Canada, d’autres se relèvent les manches et entreprennent des projets à plus petite échelle. Richard Jutras a tourné cet été La belle empoisonneuse sans l’aide de Téléfilm, imitant ainsi son illustre confrère Robert Lepage, qui avait réalisé La face cachée de la lune en puisant à même ses deniers personnels. On ne peut éternellement vivre de manière autonome, mais qui peut prétendre de toute façon pouvoir régler son hypothèque avec ses stricts revenus de cinéaste ? Les plus jeunes n’attendent plus. Habitués à débourser de petits montants pour leur production de courts durant les années formatives, ceux-ci préfèrent foncer sans budget au niveau de la production que d’attendre indéfiniment qu’une place se libère dans les dossiers des institutions, qui croulent sous les demandes (73 projets de longs métrages ont été enregistrés lors du second dépôt de Téléfilm cette année !), quitte à combler les besoins en post-production à l’aide de subventions à cet effet glanées ici et là.


Simon Sauvé l’a fait pour Jimmywork, de même que le collectif Amerika Orkestra avec son long métrage documentaire Daytona et c’est aussi ce que s’apprête à réaliser Denis Côté pour son second long métrage Nos vies privées, autoproduit avec un budget dérisoire à Ste-Mélanie avec deux acteurs bulgares. Cela porte parfois fruit : Don Raoul de Hervé Misserey et Le Paradis d’Arthur de Luc Beauchamp, deux films tournés à compte d’auteur et cédé à des distributeurs (Vidéographe et Netima, dans leurs cas respectifs) par la suite, étaient deux des trois documentaires québécois à être sélectionnés au Festival Visions du réel à Nyon en 2006.


D’autres, mieux nantis ou établis, envisagent de plus en plus les coproductions pour pallier au manque de financement national. Luc Déry, de micro_scope et les frère Rémillard de Remstar sont quelques-uns de ceux qui ne voient plus les partenariats avec l’étranger comme un compromis incompatible avec l’ensemble des attentes spécifiques des publics des différents pays impliqués, mais plutôt comme d’inévitables occasions d’affaire pour attirer une clientèle de plus en plus familière et préoccupée par le sort de ses contemporains, peu importe où qu’ils soient sur le globe. Tandis que les sujets s’internationalisent, les cinéphiles ont accès (surtout via les festivals et les DVD) à un plus grand bassin de films de partout sur la planète et vivent eux-mêmes en plus grande promiscuité avec les communautés culturelles de leurs pays respectifs.


Les producteurs sont ainsi appelés à participer plus souvent à des foires internationales, comme le Cinemart de Rotterdam et l’European Market de Berlin, à décrocher des palliatifs financiers comme le fonds Hubert-Bals afin de multiplier les contacts avec leurs pairs étrangers et compléter leur financement, un chemin long et ardu mais qui pourrait s’avérer fructueux à moyen terme. La prochaine génération pourrait bien faire éclater définitivement le cliché voulant que le Québec ne puisse coproduire qu’en territoire francophone ; les marchés américains, latino et est-européens pourraient faire partie des décors de nos films, tout comme nos acteurs se retrouvent de plus en plus dans les productions étrangères.


Pour les plus indépendants, le problème demeure l’accès aux distributeurs et aux écrans. En ciblant leurs efforts de visibilité dans les festivals, il n’est pas dit non plus que leur avenir ne se passe à l’extérieur de nos frontières. Le producteur et distributeur Atopia (A Silent Love, et prochainement Panache, le prochain documentaire d’Andrée-Line Beauparlant) s’est déjà mis à la vente de ses titres par Internet. Dans un contexte où les cinéastes sont techniquement moins dépendants des subventions, l’important est peut-être moins de savoir combien de films pourront se faire à chaque année, mais quelles seront les nouvelles initiatives que les producteurs auront à développer, et comment les projets plus audacieux pourront rencontrer leur public hors des mégaplexes.


© 2007 Charles-Stéphane Roy