mercredi 18 juillet 2007

Entrevue avec CHOI Min-sik

Entrevue avec CHOI Min-sik
2006
Paru dans la revue Séquences


La bête souriante


Les cheveux ébouriffés, le regard fou : CHOI Min-sik est de ces acteurs magnétiques et imprévisibles comme l’Asie n’en produit pas assez. Oldboy l’a révélé au public occidental, Crying Fist l’a confirmé. L’acteur, explosif et cabotin, a même été surnommé le Al Pacino coréen : pas étonnant qu’il soit la principale tête d’affiche de son pays depuis une demi-douzaine d’années. Le festival de Jeonju l’a invité cette année à diriger une classe de maître sur l’interprétation, un moment fort couru où CHOI a livré avec humour et humilité quelques réflexions et anecdotes sur sa carrière.


L’ESSENCE DU JEU

« Jouer est en quelque sorte une punition. Il faut délaisser ce que l’on a appris pour détecter une personnalité qui n’est pas la nôtre, qui se manifeste par l’amplitude d’une vibration entre ce personnage et nous. Je crois au « ‘si’ magique » de Stanislawski et au jeu naturel, mais je m’en remet invariablement à l’instinct pour guider mes interprétations. Comme un personnage n’existe pas, ou même s’il a déjà existé comme dans le cas des figures historiques, il ne faut pas chercher à être ce personnage, il faut plutôt se demander ce qu’on ferait à sa place dans telle ou telle situation. À partir de cette reconnaissance des réactions, je me mets en mode ‘pré-expressif’, qui est d’ordre physique et mental, afin de trouver l’énergie nécessaire à déployer cette expression. Avant d’entrer en jeu, je me place ainsi au bord du gouffre, dans un état assez détendu, et je fais monter l’énergie emmagasinée. Puis, lorsque je joue, je libère les forces et les énergies opposées. Si j’ai bien cerné auparavant mes réactions dans la peau du personnage, je serai en mesure de trouver la nuance adéquate et d’atteindre l’équilibre entre force et faiblesse, le ‘push/pull’ dont rêvent tous les acteurs. »


DES PLANCHES AUX PLATEAUX

« Bien sûr, le jeu sur scène en est un d’action et il faut presque adopter les gestes du pantomime. On faisait également cela à l’époque du cinéma muet, en ajoutant cependant, lors des gros plans, l’intensité des regards. Avec l’arrivée du parlant, la psychologie des personnages s’est développée et s’est retrouvée plus souvent à l’avant-plan, donnant lieu à une préparation d’acteur centrée sur le jeu intériorisé. L’émotion, la faiblesse et la sensibilité ont progressivement appelé une technique du langage corporel plus ergonomique. Comme l’espace de jeu s’est trouvé réduit, il a fallu exprimer de fortes émotions avec de menus gestes. Pour ma part, la réverbération du plateau me demande une énergie différente de celle de la scène, c’est pourquoi je demande parfois au réalisateur, lorsque je suis assez à l’aise avec lui, de ne tourner qu’une seule scène par jour lorsque celle-ci est plus délicate que les autres. »


LES ACCESSOIRES À LA RESCOUSSE

« J’aime bien improviser, mais selon des repères clairs et définis. Ma méthode préférée consiste à modifier l’utilisation d’un accessoire pour marquer une émotion ou une étape dans la vie du personnage : la manière de fumer, de me tenir, d’utiliser avec soin ou non des objets de tous les jours… Marlon Brando excellait à se servir de son environnement pour exprimer ce que vivait son personnage, et cela m’a toujours impressionné. »


L’OURS ET LE RENARD

« Les journalistes et les réalisateurs se sont mis en tête que je jouais comme un ours ou même un renard selon l’occasion. Je peux profiter de mon métier pour sauter à la gorge de quelqu’un ou lui tendre un piège. C’est ma prérogative et j’en profite, sinon je me retrouverais en prison ! Lorsque je rampe de douleur à la fin d’Oldboy, ce n’était pas prévu, mais sans trop y penser, j’ai accentué cette action. Comme Park Chan-wook savait que je voulais aller loin dans mes interprétations, il m’a laissé faire et a réécrit des scènes basées sur ce que je pouvais lui donner. »


LES MENTORS

Je n’ai conservé que des bons souvenirs de mes débuts au théâtre, même s’ils furent parfois laborieux. Je buvais trop entre les représentations et j’ai même fais une pneumonie ! Après coup, un de mes professeurs a conclu que je ne deviendrais jamais un bon acteur, car je méprisais mon corps. J’ai longtemps pleuré après qu’il m’ait dis ça. J’ai ensuite décidé que ma santé allait devenir ma priorité. L’autre, ce fut de cultiver le plaisir de travailler. Les nouveaux acteurs coréens sont tellement bons qu’ils sont même admirés par les Japonais, et pas seulement parce qu’ils ont fière allure ! Je crois en eux, même si je ne les comprends pas toujours… l’Internet et la télé m’ont appris de nouvelles expressions populaires que je ne saisi qu’à moitié. Je suis toutefois partisan des néologismes et des doubles connotations, les acteurs ne doivent pas faire comme les lecteurs de nouvelles. Les jeunes aujourd’hui sont courageux et se laissent moins abattre que moi lorsque j’ai commencé. J’espère qu’ils prendront toutefois eux aussi des risques.


© 2007 Charles-Stéphane Roy