jeudi 19 juillet 2007

Critique "L’Enfer"

L’Enfer
de Danis Tanovic
2006

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


ALLEZ TOUS CHEZ LE DIABLE

L’Enfer, c’est la famille, selon Danis Tanovic. Le réalisateur oscarisé a livré ses convictions lors d’un bref arrêt au Québec.


Drôle de bête que cet Enfer. Sur papier, c’est l’éblouissement : l’idée est de Kryzsztof Kieslowski, le scénario de Kryzsztof Piesiewicz, sied entre Heaven (Tom Twyker) et Purgatoire (sur la glace). Danis Tanovic, le cinéaste et compositeur serbe partout auréolé dès son premier essai No Man’s Land, constitue en soi un troisième as. Quant à la distribution, difficile de chigner avec Béart, Viard, Gillain, Gamblin, Rochefort, Bouquet. Et avec un titre comme celui-là, c’est sûr que ça va lever de terre. Mais non, il y a erreur sur l’oeuvre. Rangez vos pieux, éteignez vos tisons ; l’enfer, ce sera un autre film.


Le flashback pré-générique suggère un acte fatal : une fillette entre sans avertir dans le cabinet de son père. Surprise : un jeune garçon nu se tient en face de lui. Des années plus tard, l’homme sort de prison et se fait interdire la visite de ses trois filles. Paire de claques à sa femme, puis saut de l’ange du 3e : dur, dur de survivre au premier acte. Une vingtaine d’années plus tard, Sophie, Céline et Anne vivent à l’écart de leur vieille mère aigrie devenue muette. Sa progéniture, on le déduit, vit mal auprès des hommes. Sophie refuse de confronter son mari sur ses aventures, Céline prend soin de tous sauf de ses amours alors que Anne tombe enceinte de son professeur qui a préféré demeurer auprès de sa femme : la misère affective nourri l’illusion d’effacer les manques originels. Surgit Sébastien, son look de cadre, sa voix juvénile et sa timidité charmeuse auprès d’une Céline aux idylles plein la tête. Sa confession remet les souvenirs à l’heure et force un rapprochement tardif entre les sœurs et la mère.


On savait Tanovic plus porté vers l’absurdité des déterminismes que la complexité des émotions et L’Enfer nous le confirme par milles détails plus massue les uns que les autres : la métaphore du coucou nouveau-né éjectant les autres œufs à l’extérieur du nid en lever de rideau ne fait que démarrer un long engrenage du « malheur entraînant le malheur » tout de rouge vêtu. Sans surprise, Béart irrite, Viard étonne, Gamblin nous fait la gueule et on voudrait bien que Gillain vieillisse ; Rochefort joue les bibelots gâteux et Bouquet, dont on a vieilli les traits, ressemble à Gandalf. On dirait une parodie de drame parisien.


« Je ne voulais pas aller à Hollywood après mon premier film, je vis à Paris et ceux avec qui j’ai envie de travailler sont là, nous informe placidement Danis Tanovic la semaine dernière. Je privilégie les émotions sur la carrière. » Même s’il a passé de la guerre au drame urbain, Tanovic s’est tout de même gardé un agenda politique. « Les Soixante-huitard ont sacrifié la génération suivante, ils ont voulu tout avoir et leur descendance en paye le prix émotif aujourd’hui », conclut le réalisateur serbe. Peut-être. Reste à espérer que la génération suivante ne concevra pas sa relation avec ses prédécesseurs comme une confrontation aussi manichéenne et effarouchée que celles régissant cet Enfer à la fatalité ampoulée.


© 2007 Charles-Stéphane Roy