Le biopic, ou la gloire après la gloire
2007
Paru dans la revue Séquences
Birth of a Nation (D.W. Griffith), Napoleon (Abel Gance), Alexandre Nevski (Sergei M. Eisenstein) : dès ses débuts, malgré des moyens et un langage hésitants, le cinéma a nourri un penchant pour les histoires « vraies » et les portraits. Cet Art nécrophile n’était-il pas tout indiqué pour ramener à la vie les illustres figures du passé?
Aujourd’hui, le biopic – contraction de « biographical picture » – est l’un des genres les plus lucratifs dans la plupart des cinématographies, au même titre que le serial. Le réel est sexy en ce moment, la résurgence des documentaires et de la télé-réalité en est aussi la preuve manifeste.
Puisant son matériel dans la culture populaire, le biopic est maintenant au film historique ce que les films de superhéros sont aux adaptations littéraires : la capitalisation rapide (et facile) d’icônes devenues les piliers spontanés d’un patrimoine immédiat. La question de la véracité des faits et gestes inhérente au genre ne se pose même pas; à moins d’avoir été témoin des moments marquants du sujet, personne ne peut cautionner de telles entreprises de glorification (dans le cas des figures sacrées) ou de voyeurisme (qui rapporte tout autant). Au mieux, l’exercice balancera délicatement entre les actions accomplies sous l’œil public, les racontars de perron, les drames ménagers et quelques périls de circonstance pour remporter la faveur des spectateurs, qui s’identifieront à leur héros, redescendus de leur pied d’estalle le temps d’un film.
Aussi lésé soit-il, le biopic est presque indissociable de l’idéal américain, évoquant la possibilité pour un quidam de conquérir sa place au soleil, de s’élever au-dessus de ses pairs et de survivre à sa mort dans le cœur des autres quidams admiratifs ou simplement envieux. Pas étonnant que le genre ait redémarré en trombe dans les années 1990 sans jamais s’essouffler depuis, donnant une seconde jeunesse à l’existence des politiciens (Thirteen Days de Roger Donaldson), des chanteurs (Ray de Taylor Hackford), des sportifs (Rudy de David Anspaugh), des pervers (Auto-focus de Paul Schrader), des génies (A Beautiful Mind de Ron Howard), des névrosés (Sibyl de Daniel Petrie), des militants (Hoffa de Danny de Vito) et des manipulateurs (Capote de Bennett Miller).
Bénéficiant de campagnes publicitaires d’une vie entière, ces films sont pour ainsi dire déjà vendus d’avance, aux fans comme aux profanes des célébrités abordées, ce qui explique en partie l’intérêt des studios pour ce type d’œuvre, tout comme les performances d’acteurs, souvent couronnés pour leur réincarnation lors des Oscars, malgré certaines libertés avec le personnage d’origine (Reese Whiterspoon, la récipiendaire de 2006, n’a rien de commun avec June Carter Cash, qu’elle incarnait dans Walk the Line de James Mangold).
Le biopic témoigne ainsi de la culture d’un peuple, permettant la réhabilitation de figures ambiguës ou ignorées par l’histoire officielle, comme les membres de la colonie artistique, ou des scientifiques maintenant acceptés dans l’opinion publique – Kinsey de Bill Condon, par exemple. Ce n’est pas pour rien non plus que la France, riche en feuilletons historiques et en personnages plus grands que nature, a réalisé au fil des ans des films épiques sur les têtes clé de son patrimoine, de Vercingétorix à Claude François, en passant par tous les écrivains inimaginables. La figure historique la plus représentée au cinéma doit certainement être Adolf Hitler, sujet d’innombrables reconstitutions dramatiques et, depuis 30 ans, de caricatures mal dégrossies.
BIO P.Q.
Au Québec, le biopic n’est pas devenu aussi populaire qu’ailleurs. Question de culture, encore une fois, et d’un manque de glorification du passé (la télévision s’en charge à l’occasion). Nouvelle-France de Jean Beaudin ne donnera certes envie à personne de se lancer dans le genre, mais Ma vie en cinématoscope de Denise Filiatrault et Monica la mitraille de Pierre Houle ont connu un certain succès auprès du grand public, alors que Maurice Richard de Charles Binamé, ou même dans une moindre mesure Savage Messiah de Mario Azzopardi, ont déclenché un signal parmi les producteurs d’ici, celui d’une possible alliance avec le Canada anglais pour développer des biopics sur des personnalités rassembleuses de Vancouver à St. Johns. Rivard de Charles Binamé, Dédé à travers les brumes de Jean-Philippe Duval et le tandem L’instinct de mort / L’ennemi no. 1, une coproduction minoritaire québécoise sur le criminel Jacques Mesrine, suivront bientôt, probablement avec autant de tics télévisuels que les miniséries biographiques des dernières années sur Olivier Guimond, René Lévesque, Willie Lamothe ou Tommy Douglas à la CBC.
La résistance des institutions à mettre sur nos écrans des dramatisations sur les drames de la Polytechnique, d’Octobre 1970 ou du combat des Patriotes prouve peut-être qu’il est plus facile de couronner des héros que de consacrer des portraits de société à travers les chapitres les plus représentatifs de notre histoire. Le Québec, comme partout ailleurs, a rapidement assimilé par ailleurs les codes propres à la dramatisation biographique pour embarquer dans le train de la fausse biographie, souvent sur le mode du documenteur à la Rechercher Victor Pellerin de Sophie Desraspe, ou du subversif Jimmywork de Simon Sauvé.
TA VIE, MON FILM
Tant qu’à prendre ses distances avec le véridique et le chronologique, autant s’approprier complètement son sujet et l’adapter à sa sensibilité et ses préoccupations, comme l’ont manifesté David Lynch et The Elephant Man, Tage Danielsson et Picassos äventyr, Milos Forman et Amadeus, Michel Brault et Les ordres, le cycle The Music Lovers / Mahler / Valentino / Lisztomania de Ken Russell la plupart des biopics de Oliver Stone et, plus récemment, Sofia Coppola avec Marie-Antoinette, Todd Haynes avec I’m Not There (sur Bob Dylan) et Nightwatching de Peter Greenaway (sur Rembrandt). L’élasticité de la vérité semble un concept plus acceptable lorsqu’il s’agit d’un artiste, d’un athlète ou d’une personnalité trouble que celle d’un politicien ou même un grand criminel.
Alexandre Sokourov, pour un, a élevé le biopic au statut d’œuvre d’art avec sa trilogie Moloch / Taurus / Le soleil sur Hitler, Lénine et Hirohito, dépassant la simple reconstitution et le tremplin aux honneurs pour ses interprètes principaux pour atteindre une alchimie ahistorique entre l’intimité des monuments et la sensibilité picturale des époques dépeintes, résultant une sorte de tableau vivant où la composition d’ensemble l’emporte sur la glorification d’un symbole. Pour un, Sokourov est l’un des rares à s’attacher aux figures mal-aimées de l’Histoire récente, tandis que la différence la plus notable entre la méthode du Russe sur celle de ses contemporains américains en est une d’angle narratif, mettant à l’avant-plan le déclin puis la chute de ses sujets plutôt que l’âge d’or de leur influence.
LES INTOUCHABLES
Bien qu’aucune personnalité ne soit à l’abri d’une mise en images de sa vie, ses travers et ses échecs, quelques icônes ont été épargnées – pour l’instant – par Hollywood. Elvis Presley, les quatre membres des Beatles, Charles Manson, Marilyn Monroe, Salvador Dali, Jimi Hendrix et Janis Joplin seront peut-être sacralisés à l’avenir, mais la question des trusts, ces entités détenant les droits d’exploitation de l’image et de l’œuvre des grands artistes, ralentit les démarches d’adaptation de ces figures mythiques.
Au Québec, hormis quelques portraits documentaires produits par la boîte Orbi XXI et une poignée de dramatisations pour la télévision – les plus réussies étant Duplessis, écrite par Denys Arcand, et Chartrand et Simone de Alain Chartrand – des figures aussi disparates que Emile Nelligan, Claude Jutra, le Caporal Lortie, La Bolduc, Leonard Cohen, Jean-Paul Riopelle, Mordecai Richler, Henry Morgentaler, Maurice « Mom » Boucher, la famille Lavigueur, les sœurs Lévesque, les frères Rose, la famille Simard, Joseph di Mambro et Luc Jouret, Alain Montpetit, Léopold Coco Douglas, le Géant Ferré, Dino Bravo, Paul Vincent et Gerry Boulet pourraient alimenter bien des biopics pour satisfaire notre besoin d’identification ou de répulsion plutôt que notre soif de connaissance méthodique et de vérité.
© 2007 Charles-Stéphane Roy