lundi 8 octobre 2007

Critique "The Films of Alejandro Jodorowsky"

The Films of Alejandro Jodorowsky
5 DVD

2007
Paru dans la revue Séquences


Gourou, charlatan, génie, démon : l’anticonformiste Alejandro Jodorowsky fut taxé de tous les noms durant sa déconcertante carrière. L’éditeur vidéo Anchor Bay dépoussière ses débuts fulgurants et nous rappelle comment le Chilien d’origine su tirer profit des mœurs de son époque pour nourrir sa légende.


Si l’importance de El Topo (1969) et La montagne sacrée (1973) sur le cinéma expérimental n’est plus à démontrer, revoir ces classiques du cinéma-choc dans de nouvelles conditions rappelle que la démesure est avant tout affaire d’époque. Mais même visionné avec ses couleurs rehaussées, hors d’une salle de cinéma – Jodorowski inventa pratiquement les projections communales de la séance de minuit – et plus de 35 ans après la période post-hippie, le tandem procure toujours les mêmes sensations triviales qu’à sa sortie. Tandis que la violence et le grotesque de la démonstration frappent autant l’imagination, on ne peut que constater aujourd’hui que Jodorowski, l’éternel guignol ésotérique mi-Charles Manson, mi-Michel Fugain, est un cinéaste habile et maniéré, capable d’en mettre plein la vue avec de simples rudiments du langage filmique et du contrepoint sonore.


Le coffret The Films of Alejandro Jodorowsky démontre également à quel point le bédéiste et tireur de tarot a livré une œuvre homogène, et ce, dès son court métrage La cravate, retrouvé miraculeusement il y a deux ans dans un grenier allemand et édité ici pour la première fois en vidéo. Inspiré d’une nouvelle de Thomas Mann, La cravate raconte, à la manière d’un film muet, comment une femme change la tête de son amant parmi celles de sa collection personnelle, qui regroupe autant les poètes que les bandits. Prétention en moins, le film annonce une séquence de La montagne sacrée et illustre les filiations créatives entre Jodorowsky, le mime Marcel Marceau et le futur humoriste Raymond Devos, qui prêta sa tête à l’exercice.


Annonçant les hérésies à suivre, Fando y Lis, le premier long métrage du cinéaste, marque le saut de l’ange de Jodorowsky dans le néo-surréalisme. Adapté vaguement d’une pièce de Fernando Arrabal, le film en noir et blanc suit les tribulations d’un homme masochiste et d’une handicapée en route vers la cité imaginaire de Tar. Si la bande sonore présente toujours quelques lacunes sur le DVD, on découvre déjà toute la galerie de marginaux fêlés du cinéaste, fraîchement débarqués des happenings hystériques signés par le Groupe Panique, dont il fut l’un des fondateurs. Banni au Mexique mais encensé par Roman Polanski, Fando y Lis multiplie les tableaux baroques en s’enfonçant dans un dédale surréaliste au fur et à mesure que l’histoire se fracture.


Jodorowsky y exprime néanmoins un talent certain pour le montage et balise son imaginaire pour El Topo, probablement l’incarnation la plus pure de l’expression « film-culte ». À travers la quête de sainteté d’un cowboy mystique et son fils, Jodorowsky mélange brutalement mysticisme, spectacle du bizarre, cirque freudien, attaque anticléricale, magnification des pulsions primaires, chamanisme et un quasi appel en faveur du LSD. Film fétiche de toute une génération d’adeptes de sensations fortes, El Topo est ici restitué dans une splendeur inédite, élevant les contrastes entre les personnage colorés – le rouge sang demeurant la signature préférée du maître – et l’immensité du désert. Pillant allègrement Luis Buñuel, Tod Browning et Sergio Leone, Jodorowski condense avec fureur mysticisme bon marché et excès de culture populaire en parfait zeitgeist avec la génération pattes d’éléphant, constamment à cheval entre le grandiose et le ridicule.


Devenu le chantre des cinéphiles aventureux et le représentant le plus visible du cinéma extrême, Jodorowski reçoit l’appui de John Lennon pour réaliser La montagne sacrée, qui constituera à la fois le pinacle et le chant du cygne de sa démesure. Moulinant space opera, critique sociale, glam rock et tarot, le film ne rencontre déjà plus à sa sortie la faveur de ses fidèles, malgré de vertigineuses séquences, ses étourdissants mantras et sa finale en forme de pied de nez.


On aurait bien aimé revoir pour la première fois en DVD dans ce coffret l’éprouvant Santa Sangre, qui marqua le retour du gourou psychédélique en 1989, mais Anchor Bay nous propose en guise de consolation des entrevues inédites avec le cinéaste ainsi que La constellation Jodorowsky, un documentaire français aussi intéressant que mal foutu sur le parcours du réalisateur agrémenté de quelques entretiens avec Peter Gabriel, Moebius et Marcel Marceau.


Quoi qu’on pense de la méthode Jodorowski, son œuvre conserve une mystérieuse aura et témoigne des incongruités d’une époque qui a célébré autant Carlos Castaneda que H.R. Giger. Dépassé, son style a pourtant nourri l’œuvre de David Lynch et Peter Greenaway dès les années 1980, mais aussi plus récemment les essais du Suédois Roy Andersson (Chansons du 2e étage), de l’Hongrois Gyorgi Palfi (Taxidermia) ou des Belges Benoît Délépine et Gustave Kerven (Avida).


© 2007 Charles-Stéphane Roy