mercredi 18 juillet 2007

Critique "Dear Wendy"

Dear Wendy
de Thomas Vinterberg
2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


AUX ENFANTS DE LA BALLE

Dopé de contradictions, Dear Wendy confond anthropologie et fantasme avec style.


Wendy n’est pas le nom d’une prétendante, d’un toutou ou même d’un ami imaginaire, c’est le nom qu’un ado a donné à son revolver et confidente d’entre toutes – les armes à feu auraient un sexe, et comme le fusil de Dick n’a ni le barillet très long ni le calibrage très large, il allait de soi qu’elle allait adopter un sobriquet féminin. Dick est puceau, donc il se contient. Avec d’autres puceaux, il forme les Dandies, une congrégation amicale vouant un culte à la chose. Les Dandies se réunissent ainsi pour se frotter le pétard en cachette, observer et désirer celui des autres, visionner des films de pétards durant lesquels ils apprennent comment rester au garde-à-vous avec une balle dans les testicules. Ils ne pensent qu’à ça, et pourtant ils ne veulent pas passer à l’acte – faut se garder vierge pour le jour où surviendra la grande débandade.


On pourrait rapprocher Estherslope de Dogville, Brokeback Mountain ou Millbrook, le village imaginaire de A History of Violence. Bienvenue dans les États-Unis artificiels, l’Amérique réinventée par les cinéastes d’outre frontières érigée pour percer les mythes de l’Oncle Sam. Rien à voir avec la réalité, donc, surtout lorsqu’on n’a jamais mis les pieds dans une bourgade yankee de sa vie. Lars von Trier, grand bouffon moraliste insatisfait d’avoir fait plié deux hameaux états-uniens (Dogville et Manderlay) à sa botte anti-impérialiste, n’a pas craché sur les heures supp’ pour monter de toutes pièces le centre-ville d’Estherlope, bastion de toc où se terrent nos Dandies réactionnaires. Tout y est : le magasin général, les pompes à essence, un shérif amical qui sacre (Bill Pullman, déguisé en Rosco P. Coltrane), des mineurs qui traînent dans les rues comme des zombies, l’Afro-américain criminel de service, les coincés du coin qui rêvent de sacrer une volée aux figures d’autorité…


Après avoir filmé les States dans le ventre du dragon (It’s All About Love) en 2003, le co-fondateur du Dogme Thomas Vinterberg a payé le voyage à son casting presque entièrement états-uniens pour mieux les installer dans son Westworld danois, sous la recommandation bienveillante de von Trier, l’échevin mégalo derrière cette capricieuse reconstitution. Mais même sous une tonne d’ironie à dépeindre chaque porte-étendard comme autant de mésadaptés affectifs, il y a bien là les traces d’un labeur dévoué, mélange d’amour, de honte et d’envie à vouloir s’approprier le western et la compagnie des armes, iconographies fondatrices de la psyché US, pour mieux les traîner soi-même dans sa propre fange. Autres passeports, même mentalité «Tirons-les et tirons-nous».


Ça fait pourtant rêver, tout ça. Rêver à la possibilité universelle de traduire les pays comme ça nous chanterait selon un discours aussi pervers que voulu, de façon à retourner l’âme de nos oppresseurs contre eux par pure perversion, archétype ou pas. Rêvons d’un Guy Maddin réinventant Tokyo, les Dardenne à Los Angeles, Robert Morin à Marseille et pourquoi pas Billy Bob Thornton à Copenhague, question de payer visite à nos Dogmeux en mal de village global sans cowboys.


© 2007 Charles-Stéphane Roy