jeudi 19 juillet 2007

Venise 2006

63e Mostra Internazionale d'Arte Cinematografica
2006

Paru dans la revue Séquences


Digne et trébuchante Venise


Du carré d’as des festivals dits de ‘catégorie A’ (avec Cannes, Toronto et Berlin), Venise est à la fois le plus diplomate et le moins adapté aux réalités du cinéma mondial. Sa programmation, de plus en plus portée sur les premières mondiales, alterne entre la réhabilitation de pionniers, la confirmation de jeunes auteurs déjà encensés sur le circuit et la chance aux débutants, souvent recalées par les manifestations printanières.


Qu’on le veuille ou non, le Lion d’Or n’affiche plus le même lustre d’antan, lorsque ses récipiendaires s’appelaient Malle, Cassavetes, Michalkov ou Tsai Ming Liang. Le mot circule sur le Lido à l’effet que les acheteurs prennent toujours note du palmarès vénitien mais garderaient leurs euros et leurs dollars bien au chaud en attendant de voir comment les lauréats de la Mostra profiteront de leur lancée durant l’automne, saison de la chasse aux prétendants à l’Oscar.


Pour le critique ou le simple badaud, Venise rime infailliblement avec rumeurs exagérées, premières endiablées et récompenses désarmantes : le plaisir, malgré les dernières canicules de l’été et les innombrables contrôles carabiniers, demeure au rendez-vous. La sélection 2006 avait de quoi faire presque pâlir d’envie les fidèles de la Croisette cannoise : de Palma, To, Kon, Zhangke, de Oliveira, Lynch, Branagh, Kurosawa… rien à redire, sinon qu’il manquait encore de place pour certaines prises aussitôt repêchées par Toronto (on pense à Trapero, Minghella, Kopple, Leconte, et combien d’autres).


La situation de Venise, autant dans ses limites spatiales (cinq écrans, dont un sous chapiteau et l’autre dans l’exigu sous-sol du vétuste Palazzo del Cinema) que ses contraintes financières (un espace marché reste perpétuellement à l’état de projet), force le Lion à faire le beau plutôt que dévorer ses prédateurs. Mais ce n’est manifestement plus assez, alors que la force des autres événements réside dans leur propension à financer les projets (Cinemart à Rotterdam, European Film Market à Berlin) et d’imposer de nouveaux horizons via leurs sections parallèles.


Heureusement pour le public et les professionnels, l’absence de véritables attentes ne l’a pas emporté sur l’étonnement causé ici et là par des pointures dont l’avant-gardisme n’avait, semblait-il, plus rien de surprenant. Erreur : l’intelligence et la maîtrise de The Queen de Stephen Frears furent éblouissantes au même titre que le savoureux mélange de drôlerie et d’humanisme déployé dans Cœurs d’Alain Resnais ou la virtuosité se dégageant du grotesque de Children of Men d’Alfonson Cuaron.


Banalisé et parfois même ignoré par la critique durant ses récents coups d’épée dans l’eau, Spike Lee a laissé pantois les premiers spectateurs européens de When the Levee Broke : A Requiem in Four Acts, magistrale leçon documentaire à l’américaine où chaque pierre et chaque digue retournée propose une vérité multiple et complexe, totalement absoute d’absolus. Avec dignité, intelligence, sensibilité et méthode, Lee a réussi le tour de force de buriner dans nos consciences déconcentrées un événement devenu fait divers pour le reste de la planète mais toujours marquant pour les Louisianais victimes de l’Ouragan Katrina. C’est donc à l’unanimité que Lee obtint le Prix de la critique dans la catégorie Orizzonte.


QUÉBEC PAR LA BANDE

Deux films québécois étaient de la partie cette année, Sur la trace d’Igor Rizzi, le premier long métrage de Noël Mitrani dans la section Orizzonte, et la coproduction France/Canada/Burkina Faso Rêves de poussière de Laurent Salgues dans la section Venice Days. Si ces oeuvres opposées dans leurs factures mais jumeaux par leurs (maigres) capitaux n’ont pu réussir à attirer l’attention comme l’avait fait C.R.A.Z.Y. l’an dernier, elles parvinrent à se démarquer des autres premiers ou seconds essais des sections satellites assez faibles dans l’ensemble.


C’est précisément là où s’exerce la domination de Cannes sur Venise: alors que la Semaine de la Critique, la Quinzaine des réalisateurs et le programme Un certain regard génèrent autant d’enthousiasme que les autres sections, les événements gravitant autour de la compétition vénitienne tombent souvent à plat, du moins cette année.


PEU DE SOUVENIRS EN POCHE

On retiendra quelques heureuses séquences du curieux documentaire que Giuseppe Bertolucci consacra au tournage de Salo dans le documentaire Pasolini prossimo nostro, montage éreintant des milliers de clichés sur le plateau du film arc-boutées aux d’entrevues audio inédites du maestro ; la drôlerie kaurismakiesque de Free Floating (Svobodnoe plavanie), essai formellement impeccable de Boris Khlebnikov ; la plastique et l’exécution quasi fictionnelle du documentaire Dong de Jia Zhang-ke, la violence verbale claustrophobique du scorsesien A Guide to Recognizing Your Saints, autobiographie du jeune cinéaste Dito Montel ou encore la fougueuse épopée juvénile Rain Dogs du précoce malais Ho Yuhang. À suivre, peut-être sur nos écrans.


© 2007 Charles-Stéphane Roy