mardi 17 juillet 2007

Critique "The Bridge of San Luis Rey"

The Bridge of San Luis Rey
de Mary McGuckian
2005
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


PONTES ET USAGE DE PONTS

De Niro, Keitel, Bates, Byrne, Chaplin, Dequenne, Le Bihan, Pinon et les frères Polish sont invités au même bal costumé. Mais pourquoi personne ne semble avoir le cœur à la fête ?


Le cinéma a pris l’habitude de malmener The Bridge of San Luis Rey, l’œuvre charnière de l’écrivain américain Thornton Wilder, et ce, dès 1928. Au moment où l’auteur met la main sur le Pulitzer, on présente déjà sa tragédie au grand écran, lyrique exposition du procès menant à l’exécution du frère Juniper, témoin de l’accident survenu sur un pont péruvien qui coûta la vie à une marquise désabusée et sa bienveillante servante, un scribe muet en deuil de son frère jumeau, un metteur en scène dévoré par la beauté des femmes et le bambin de sa muse exilée après avoir contracté la variole. Juniper attira les foudres de l’Archevêque de Lima suite à l’évocation du hasard plutôt que d’une intervention divine pour expliquer le drame.


En 1929, l’adaptation de The Bridge of San Luis Rey passe inaperçue, et il faudra attendre en 1944 pour que Rowland Lee, à la tête de sept réalisations cette année-là, conclu en temps record son tournage. Le film reçoit des critiques désastreuses… et un Oscar pour ses décors. Pourquoi des producteurs anglais ont-ils décidé d’en rajouter une couche ? Flashfoward 2001 : Tony Blair évoque les sentiments ambivalents du roman lors de son allocution dédiée aux victimes du World Trade Centre, et le bouquin en est quitte pour une réédition illico. Il n’en fallait pas plus pour exaucer le souhait de la réalisatrice Mary McGuckian de renouer les cordages usés du livre de Wilder.


Le reste n’est ni fortuit, ni prédestiné : McGuckian donne une liste d’acteurs potentiels à ses producteurs, et tous acceptent de collaborer. Co-prod. oblige, Français, Anglais, Espagnols et Américains se disputent l’accent officiel du film, pour notre plus grand inconfort. En fait, si la fidélité peut appeler l’ennui, le film aurait commandé une salutaire hérésie qui aurait enrayé le pilote automatique sur lequel s’appuient la majorité des acteurs. Reste F. Murray Abraham, à qui la perruque et la toge siéent toujours à merveille – prions pour qu’on lui redonne une carrière à la mesure de son talent, qui, lui, n’a rien de providentiel.


© 2007 Charles-Stéphane Roy