lundi 21 mai 2007

Variations sur l’écriture permanente

Documentaire et fiction : variations sur l’écriture permanente
2004
Paru dans la revue Séquences


« Le cinéma est le moyen audiovisuel qui parvient à fixer les diverses formes d’expression : il n’y a aucune différence entre fixer un visage et fixer une page écrite.
Quelquefois, au contraire, les paroles sont plus photogéniques que les visages. »
- Manoel de Oliveira, à propos de l’écriture et du réel au cinéma


La récente résurgence du documentaire nous rappelle la nature même de l’acte de création cinématographique, soit les moyens employés par les cinéastes afin de structurer leur récit, trouver un fil conducteur, lier les événements tout en en isolant d’autres; bref, tout un travail à mi-chemin entre le reportage et la fiction. Peut-on encore parler de clivage entre ces deux familles traditionnelles ou entretenons-nous vainement d’obsolètes conceptions face à l’incontournable notion de subjectivité ? Un plan sera toujours subjectif.


La fiction classique tend sans relâche à rendre transparent cet enchaînement hautement planifié d’histoires la plupart du temps objectivées (lorsque, par exemple, une caméra-témoin affranchie d’une quelconque narration traque presque passivement les actions d’un noyau d’héros). Dans le cas du documentaire, le montage (écriture finale) deviendra forcément l’ultime orchestration au terme de la recherche initiale du projet, la pertinence des témoignages puis la cohésion narrative en constituant un acte de création fondé sur des stratégies personnelles.


À cet effet, François Truffaut disait qu'un documentaire demeure mille fois plus manipulateur et menteur qu'une fiction, donc que sa part d’écriture (structure + syntaxe visuelle + tangentes discursives) assure sa relative continuité et ses digressions, que ce soit par l’alternance de travellings et de gros plans, dénotant un parti pris pour la mise en forme du réel, soutenue ou relâchée, intacte ou modifiée, afin de simplement raconter le plus efficacement possible et avec tous les écarts nécessaires au réel une anecdote, une saga ou une profession de foi. On pourra y croiser la plupart du temps une évolution en trois actes, des personnages, des séquences transitoires afin de transcender le sujet immédiat en l’universalisant dans un contexte moralement ou esthétiquement plus interpellant.


Quoi qu’il en soit, on peut objectiver un scénario au tournage (suivre à la lettre le plan initial – l’écriture permanente) ou le subjectiver par transgression, en le réécrivant en images (écriture en permanence), et cela aussi bien en fiction qu’en documentaire.


L’autre principale différence réside dans le type de collaboration entre scénaristes : la fiction peut commander une équipe complète de « scripteurs » (dialoguistes, spécialistes de l’action, des séquences dramatiques, etc.) en périphérie des interventions d’un réalisateur, tandis que le cinéaste documentariste finalise la plupart du temps lui-même l’écriture du film au montage, tout en ayant pu compter sur un ou plusieurs recherchistes en début de parcours. C’est ce jeu constant entre l’avant et l’arrière-plan qui procurera au film une richesse, une portée au même titre que la fiction.


Selon Nathalie Lenoir, rédactrice à la revue Synopsis et ˝ script doctor ˝, « écrire un scénario de documentaire est une démarche qui peut sembler ardue de prime abord, parce qu’elle oblige l’auteur à anticiper un réel qui n’a pas encore eu lieu. Une bonne idée n’est pas suffisante pour donner naissance à un bon film, encore faut-il présenter une histoire, des personnages, des enjeux. Mais cette étape est aussi un moyen de prendre du recul sur le sujet du film, de se poser des questions, de donner de l’épaisseur, de la maturité au projet. Tourner un documentaire, c’est filmer l’inconnu, et l’écriture y prépare. »


De par sa nature même, la réalité est donc émotionnellement plus forte que la fiction, qui lui est toutefois souvent plus… photogénique. Le scénariste se doit donc de guetter vaillamment son sujet afin d’en arriver par déduction à sa vérité propre, quelle soit authentique ou non.


© 2007 Charles-Stéphane Roy