2004
Paru dans la revue Séquences
Programmes de consolidation
Pour sa 5e édition, Images du nouveau monde est devenu le festival de cinéma des 3 Amériques (FC3A) et s’est projeté à la dernière semaine de mars, quelques jours seulement après le Festivalissimo montréalais. Il ne fallait toutefois pas y voir la promesse d’un changement de cap, mais plutôt la réaffirmation d’une identité et d’un champ d’action.
L’événement a désormais atteint une intéressante vitesse de croisière, fort d’une stabilité administrative, d’une reconnaissance des institutions culturelles et d’une masse publique avoisinant les 15 000 visiteurs. Cette synergie locale entre milieux de production, cinéphiles et salles de projection – à l’exception du Clap, fort éloigné de l’épicentre des activités – contribue d’autant plus à confirmer l’importance de cette plateforme du cinéma international au sein de ses remparts et de sa double mission : offrir au public local la chance de voir du cinéma étranger et aux coureurs de festivals quelques primeurs nationales glanées à La Havane, Biarritz ou Cannes.
Bénéficiant de la nouvelle salle du cinéma Cartier, le FC3A a pu organiser à son tour une Longue nuit du court, qui présentait les meilleurs coups de Fantasia, de Kino et autres Phylactère Cola. L’autre heureuse initiative fût l’introduction au cinéma des premières nations, avec un programme de sept courts métrages sous le patronage de Terres en vues. Car l’Amérique, c’est un peu eux aussi. Enfin, il faut souligner la plus grande présence de discussions et tables rondes que par le passé, organisées à la galerie Rouje, lieu fort apprécié des festivaliers. Alternant les rencontres professionnelles d’usage ciblées pour la longue relève et des tribunes de contestation plus populaires, ces événements ont dynamisé le festival et confirmé la pertinence des activités du FC3A dans la région de Québec, comme le fait depuis 20 ans le Carrousel de Rimouski dans le Bas-Saint-Laurent.
Si la carte filmique est rondement balancée, ses enchevêtrements se heurtent néanmoins quelquefois, passant difficilement de la comédie nationale populaire au film d’auteur échevelé. Car au-delà du niveau de qualité et de la pertinence de certains morceaux de la sélection, il faut avouer que le tout manquait perceptiblement de surprises et de contenus réellement révélateurs (en regard avec la 4e édition), à l’image du film d’ouverture Carandiru du Brésilien Hector Babenco. Excessivement long et malhabilement adapté du livre du docteur Drauzio Varella, le film témoigne de l’esprit unique de cette prison gérée par ses sept mille pensionnaires qui ferma ses portes au terme du sanglant siège de 1992, mais s’égare rapidement dans les ruptures de ton, d’inutiles retours en arrière et de vilains dérapages entre le noyau dramatique et sa périphérie.
Les esprits furent beaucoup plus éveillés à la sortie du limpide B-Happy de Gonzalo Justiniano, prototype du film en tournée d’un festival – et d’un podium – à l’autre : actrice frondeuse dont on ne peut en détourner le regard, prémisse prometteuse qui suscite son lot d’émotions fortes, réalisation ample et assurée : malgré une impression de déjà-vu, le film émeut et ne présente aucun temps mort. Le grand public préféra récompenser le bourratif Nicotina de Hugo Rodriguez, une fiction on ne peu plus pulpeuse où le sang lie de grossiers personnages hachés menus par un monteur épileptique. Dans le genre, on s’en est remis à la douce folie du mexicain Sin Ton Ni Sonia de Carlos Sama, dans lequel le personnage mythique de Mama Rosa croise sur son chemin un doubleur de cinéma, une télékinésiste végétarienne et deux clones de Starsky et Hutch. Du côté des documentaires, il faut souligner la présence du généreux Tom Dowd and the Language of Music, qui retrace la contribution du personnage principal à l’évolution des techniques d’enregistrement sonore d’après-guerre, et qui permit à John Coltrane, Ray Charles, Eric Clapton et les Rolling Stones de pousser plus loin leur utilisation créatrice du studio. Du mono au multipiste numérique, ce film classique se laisse admirablement regarder le pied battant.
Le jury international, auquel participait le cinéaste Denis Chouinard, a judicieusement remis le Prix Tempête du meilleur film à Narradores de Javé, qui faisait partie d’un hommage au cinéma brésilien. Déjà remarqué à Fribourg, Bruxelles et Rotterdam, le film d’Eliane Caffé fait partie de ces attachants tableaux patrimoniaux d’un bout de pays autarcique, dans lequel les habitants d’un village menacé usent de stratagèmes afin de contrer l’inondation que la construction d’un barrage occasionnerait. Jouant allègrement sur les méandres subjectifs de la transmission orale, le film fait la part belle aux digressions humoristiques et autres revers communautaires. À mi-chemin entre Northfork et La grande séduction, voilà l’exemple le plus éclatant de ce que vers quoi tend le FC3A, entre dépaysement relevé, acte d’auteur accompli et accessibilité populaire.
© 2007 Charles-Stéphane Roy