de Edward Zwick
2004
Paru dans la revue Séquences
À vaincre sans humilité, on triomphe sans gloire
Puisant dans des valeurs viriles et des thèmes militaires (Glory, Courage Under Fire, Legends of the Fall, The Siege), la filmographie de Edward Zwick prône avec insistance la notion d’honneur individuel, la fraternité clanique et l’esprit de loyauté. Il était donc inévitable que Zwick s’intéresse au samurai, le modèle guerrier ultime. Figure mythique d’un temps révolu où le respect de l’adversaire et la chose militaire étaient considérés comme un art, le samurai a toujours la cote chez les cinéastes contemporains, et plus seulement au sein de la confrérie nipponne.
Adapté au goût du jour, on le retrouve dans plusieurs œuvres populaires récentes : Ghost Dog de Jarmush, The Matrix des frères Wachowski ou Kill Bill de Tarantino témoignent tous d’une affection particulière pour ce style de combat spectaculaire mais en abordant peu ou prou les préceptes philosophiques découlant de ce mode de vie – et de mort. Il fallait donc revenir aux sources afin de présenter au public occidental les fondements de l’esprit samurai, et c’est précisément cet aspect qu’a privilégié Zwick.
De l’épique au didactique, The Last Samurai tente de faire le pont entre deux cultures vouées à l’extinction (la féodalité japonaise et le régime néo-sécessionniste américain) dont on souligne autant les contrastes que les similitudes. Pour s’y prendre, le cinéaste a tôt fait d’accorder une large place aux combats de troupes et d’assigner le rôle principal à un acteur incarnant de nobles valeurs dans l’esprit de plusieurs. Sur de multiples fronts, le film dénote une tendance à tout magnifier, des dialogues aux affrontements, tandis que le discours sous-jacent tente justement de donner un sens aux chimères animant les hauts gradés.
Durant la guerre civile japonaise de la fin du 19e siècle, l’Empereur tente d’écraser une milice samurai en se payant les services d’un vétéran capitaine américain hors-jeu afin de former les troupes impériales nouvellement munies d’armes modernes. Capturé lors d’un raid avorté par Katsumoto, le chef des insoumis, l’Américain apprivoisera l’art de vivre et le code d’honneur samurai tout en révisant ses allégeances envers l’Empereur. Guidé par son mentor et sa nouvelle foi, il combattra au sabre les soldats impériaux sous les ordres de Katsumoto lors d’une bataille décisive pour l’avenir de cette tradition militaire.
Zwick a semblé profiter de cet hommage aux principes guerriers japonais ancestraux pour aborder d’autres réalités historiques américaines de l’époque : il n’hésite donc pas à lever le voile sur le massacre des Amérindiens ou sur les manœuvres mercantiles et politiques des agents de Colt au pays du Soleil levant, soulevant ainsi le manque d’humilité face à l’adversaire au centre même du processus de « réhabilitation » du héros Nathan Algren. La partie centrale demeure à cet effet le pivot du film, après quoi la bataille finale s’avère aussi élongée que prévisible.
L’orgueil et le désintérêt d’Algren cèderont progressivement leur place au respect et au souci de ceux qui l’entoure et de leurs valeurs profondes ; plus important encore, il choisira un camp, une cause et une famille. Sur le champ de bataille, il revêtira ultimement l’armure des samurais et maniera le sabre, moins par souci stratégique – la victoire semble impossible – que par alliance et fraternité avec les dissidents.
Mais ne nous méprenons pas : l’apparente modestie de l’ensemble révèle rapidement une entreprise peu subtile de commercialisation du Tom Cruise modèle 2003 : cheveux mi-longs, flegmatique, serein et sensible. Portant le sceau de production Cruise/Wagner, qui assure à l’abonné aux classements Forbes les meilleures vitrines depuis quelques années, The Last Samurai est la production type où l’acteur principal semble avoir été payé selon un ratio d’apparitions à l’écran plutôt que pour sa contribution dramatique globale, résultant une réalisation à sens unique et un final hollywoodien particulièrement échevelé, voire indigeste, venant gâcher une prémisse pourtant féconde.
Il devient alors ironique de constater qu’en dépit de l’omniprésence du principal actionnaire de cette entreprise, le véritable point de mire du film reste l’acteur Ken Watanabe et sa prestation à la fois solennelle, fugace et émouvante. Connu principalement pour ses rôles de policier à la télévision nippone, Watanabe incarne ici le samurai suprême, autant dédié à la cause des siens que sans pitié pour ses ennemis, et prouve sans l’ombre d’un doute que les meilleurs films du genre appartiennent aux Japonais. Mais ça, on le savait déjà.
© 2007 Charles-Stéphane Roy