mercredi 9 mai 2007

Critique "2 secondes" de Manon Briand

2 secondes de Manon Briand
1998
Paru dans Ciné-Bulles

Le collectif Cosmos aura permis à faire connaître au public quelques nouveaux noms au grand public, sous la férule du prolifique Roger Frappier. Après les oeuvres de Denis Villeneuve et André Turpin, c’est au tour de Manon Briand à effectuer ses premières armes dans le long métrage avec 2 Secondes, un film léger et divertissant sur le risque et la passion.


Laurence (Charlotte Laurier) est une coureuse de vélo de montagne en fin de carrière. Après avoir vu la victoire d’une course lui échapper par une hésitation de précisément deux secondes, elle se voit contrainte de laisser sa place dans l’écurie à la faveur d’une jeune louve. De retour à Montréal, elle retrouve son frère (Yves Pelletier), un scientifique coincé, et sa mère (Louise Forestier), qui, atteinte d’Alzheimer, peine à la reconnaître. Alors qu’elle s’ennuie du rythme trépidant des voyages et des courses contre la montre, elle rencontrera sur son parcours Lorenzo (Dino Tavarone), un vieil italien bourru propriétaire d’une boutique de bicyclettes et lui-même ancien coureur cycliste, avec qui elle forgera une solide amitié empreinte de respect et d’admiration soldée autour de leur amour pour le vélo.


En s’éloignant du style et du thème de « Boost », sa contribution à Cosmos, la cinéaste, elle-même touche-à-tout, s’amuse à entrelacer vignettes de la vie quotidienne et discours philosophiques, humour et tendresse, et c’est ce qui fait la force de son premier film. La vitesse, bien sûr, demeure au centre de son propos et, en ce sens, l’hésitation de Laurence lors de la course initiale se traduira tout au long par de multiples interrogations sur la difficulté de vivre plusieurs passions à la fois. Habituée au souffles courts, à la rapidité d’exécution et aux grisantes montées d’adrénaline, la cycliste a aussi du mal à prendre le temps de vivre et à trouver des nouveaux défis, à éprouver de nouveaux frissons. C’est pourquoi la présence de Lorenzo, un de ses pairs qui a souffert physiquement et émotivement de sa passion, devient réconfortante: il l’encouragera à suivre les choix que lui dicte son coeur.


Dino Tavarone offre une prestation d’un naturel et d’une aisance déconcertants et d’une chaleur empreinte d’émotion, puis forme un impressionnant duo avec Charlotte Laurier, qui renoue avec la fiction de manière magistrale. Elle parvient - souvent par le biais de l’expression de son visage - à incarner sans complaisance aucune autant la naïveté positiviste que l’angoisse et la solitude de son personnage. Cette belle interaction est cependant minée par la faiblesse des personnages secondaires; unidimensionnels (le frère de Laurence est une pâle copie des perdants que Yves Pelletier avait l’habitude de jouer au sein de RBO) et souvent mal employés (comme les autres messagers et la petite amie de Laurence), ils ne génèrent que bien peu d’impact au récit et à l’évolution du personnage principal, et, quelquefois même, s’avèrent carrément inutiles (à l’instar du messager jaloux de Jici Lauzon).


Alors que les premières oeuvres sont la plupart du temps toutes personnelles, hermétiques et quelquefois prétentieuses, 2 Secondes touche à des thèmes universels, opte plutôt pour un ton résolument léger et dégage une énergie vivifiante qui a semblé tonifier les acteurs. Et si la ligne narrative demeure assez conventionnelle, les fréquentes ruptures de rythme du montage offrent des tonalités additionnelles au récit sans pour autant tenter d’épater le spectateur ou compenser une quelconque faiblesse scénaristique. Par contre, Briand multiplie d’encombrants effets stylistiques au niveau de la caméra (accélérés et ralentis peu originaux, gros plans injustifiés) et de certaines scènes relevant de clichés d’un goût discutable (le pet du messager dans l’ascenceur bondé aurait pu être évité).


Primé au dernier Festival des Films du Monde de Montréal, 2 Secondes a certainement réussi à transmettre son dynamisme contagieux résultant de la performance des acteurs principaux et d’un trépidant montage. Animé par une bande sonore allumée, le film de Manon Briand transpire la joie de vivre tout en abordant des sujets peu commun, et réussit du même coup son pari: divertir intelligemment.


© 2007 Charles-Stéphane Roy