jeudi 10 mai 2007

3es Images du Nouveau Monde de Québec

3e Festival Images du Nouveau Monde de Québec
2002

Paru dans la revue Séquences

Le continent inachevé


À peine l’événement montréalais Festivalissimo complété que se déploie une autre manifestation de cinéma hispanique majeure, cette fois dans la Capitale provinciale. À Québec, Images du Nouveau Monde semble prendre doucement sa place dans le circuit culturel de la région malgré une timide visibilité attribuable principalement à son jeune âge, son excentricité (au sens géographique du terme) et la sélection des oeuvres présentées. Soutenue par d’importantes forces économiques locales et un cercle de cinéphiles croissant (environ 15 000 spectateurs cette année), il est fort à parier que l’existence de ce festival n’est pas en danger.


Malgré tout, une ambiguïté manifeste persiste au niveau de sa spécialisation tentaculaire et de ses ambitions, particulièrement dans la cohérence des contenus et la pertinence de ses activités parallèles. Du cinéma panaméricain, soit, mais lequel ? Au-delà de la simple nomenclature, il est de mise de se demander ce qui unit perceptiblement ce corpus aux composantes hétérogènes, ce qui le définit et le régit. Si certains thèmes se dégageaient à l’unisson de la sélection 2002, il serait toutefois risqué d’avancer que ces thèmes ne sont propres qu’aux Amériques; au contraire, le désespoir se monnaie particulièrement bien dans les grands festivals.


À défaut de présenter un nombre de primeurs substantiel (ce qui, malheureusement, pardonne souvent aussi les lacunes de vision d’autres festivals majeurs), les programmateurs d’INM auront à établir tôt ou tard de précis et distincts principes directeurs dans leur sélection, surtout pour ce qui a trait aux longs métrages. L’équipe de production semble par ailleurs consolider ses assises sur le quartier Saint-Roch, avec un axe de diffusion ergonomique et des sites adéquats (le Cinéma Place Charest, le Complexe Méduse et la Galerie Rouje).


Si la plupart des activités connexes furent appréciées (assaut des artisans itinérants de Kino, projection d’une nouvelle copie du J.A. Martin photographe de Jean Beaudin, le président d’honneur, ou ce brillant « jogging du producteur » Daniel Gélinas à l’intention des invités dans les rues du Vieux-Québec), d’autres, comme la messe acoustique du groupe GrimSkunk à l’église Saint-Roch (avec projections) ou le spectacle de Freeworm en guise de clôture, laissèrent perplexes quant à la validité de leur contribution à la promotion d’un festival... de cinéma. On ne peut néanmoins douter du sérieux de la démarche d’INM et de leurs efforts constants pour concilier visibilité institutionnelle et achalandage local; cette détermination saura assurer à l’événement une identité propre sous peu.


Plusieurs courts métrages surent trouver la sympathie du public au sein de programmes majoritairement bien orchestrés, comme ceux de la section New York où l’on retrouvait des exercices de style accrocheurs comme Zen and the Art of Landscaping de David Kartch, une suite haletante de coups de théâtre situés dans une banlieue cossue, le mordant A Brief Inquiry into the Origins of War de Philip Farha, une caustique vignette sur la vengeance, et surtout Helicopter d’Ari Gold, une fantaisie expérimentale sur la perte maternelle et la nostalgie populaire aussi émouvante qu’aboutie.


Une mention fut accordée par le jury composé du cinéaste Éric Bachand, de la programmatrice Lynda Roy et du producteur Luc Déry au loufoque et très new-yorkais Black People Hate Me and They Hate My Glasses de Salomo Levin, qui concluait ce programme. Avec un sens aigu du montage et de la temporalité, le cinéaste réussit à démontrer la futilité d’une théorie par le biais d’allers et retours échevelés entre des situations et des personnages écervelés.


Quant au segment Mexican Caravan, il nous permit de découvrir le savoir-faire unique des étudiants de l’Instituto Mexicaino de Cinematografica avec une série de courts métrages techniquement impeccables et narrativement accomplis. De ce lot s’est démarqué le sobrissime Benjamin de Julio Fons, le récit d’un fermier ermite et de ses remords après avoir sacrifié son meilleur ami... un porc affectueux ! Son traitement dépouillé à hauteur d’homme gagna la faveur du jury, qui lui décerna le prix du meilleur court, une récompense fort méritée.


Il fallait ensuite surveiller dans la section Nouvelles Images le Hamartia des torontois Michael Caines et Louise Lillefieldt, composé d’un unique gros plan confrontant le spectateur au regard déchanté d’une jeune femme faussement impassible, le ludique et personnel Planétarium du Montréalais Nelson Henricks, ainsi que la rétrospective des oeuvres de Shawn Chappelle, maître ès agression pixelliste. Avec force moyens et imagination, l’artiste Vancouverois a concocté une percutante kyrielle d’images montées avec l’intention manifeste de défier la réception visuelle par des effets succincts de surimpression, de fondus approximatifs et d’anamorphoses optiques. Théoriquement achevé, le résultat semblait pourtant daté à certains moments. La section, curieusement, proposait des sites web anglais et hollandais (!) comme compléments numériques de ces programmes exclusivement nord-américains; il aurait été intéressant à cet égard de présenter les efforts de concepteurs sud-américains. À suivre...


La section Longs Métrages se plaçait cette année sous le sceau de la réclusion sociale en amalgamant documentaire et fiction. L’un des favoris du public demeura le vivant Mémoires d’une petite cité de Valérie Lavoie; produit par sa soeur Geneviève, il constituait d’une part l’amorce d’une troisième génération de cinéaste — dans la lignée de son père Richard (Rang 5) — ainsi qu’un chaleureux portrait du populaire quartier de la Basse-Ville de Québec.


Recueillant les témoignages et observations d’une demi-douzaine d’habitants, Lavoie remet à l’heure les pendules d’une revitalisation sauvage qui s’est effectuée au cours des vingt dernières années au détriment de l’harmonie architecturale et de l’histoire industrielle de ce lieu aujourd’hui reluqué tout autant par la jeune faune économique que les délinquants juvéniles et les assistés sociaux. Malgré un rythme inconstant et une facture télévisuelle, le film offre un échantillon riche et varié de points de vue remarquablement respectueux sur une urbanité entre deux eaux.


Une autre belle découverte fut le film Que No Quede Nuella (Without a Trace) de Maria Novaro (Danzón), une épopée routière rebondissante menée de main de fer par les comédiennes Tiaré Scanda et Aitana Sánchez-Gijón. Cette comédie où deux femmes en cavale tentent de rejoindre le Yucatán a le mérite de permettre à la femme mexicaine de s’élever (caricaturalement, mais tout de même) au-dessus du machisme des policiers, récidivistes, maquiladoras et autres archétypes masculins traditionnels.


Plus classique fut le drame d’époque La Fuga de l’Argentin Eduardo Mignogna, une fresque enlevante et diablement bien ficelée autour du sort d’un groupe de prisonniers évadés dans le Buenos Aires de la fin des années 1920. Leurs destins, passablement leonéens, se recoupent souvent tragiquement par le biais de fusillades au ralenti sur fond de musique classique. Plusieurs trouvailles narratives et dramatiques procuraient enfin à ce divertissement haut de gamme une touche bien personnelle.


Mais, contre toute attente, le jury composé de l’actrice France Castel, du comédien Normand Daneau et du cinéaste Jeremy Peter Allen ont décerné le Prix Tempête au poignant documentaire Senorita Extraviada (Missing Young Women) de la Mexicaine Lourdes Portillo, un terrifiant exposé sur le sort cruel réservé à plus de cinq cent femmes venues travailler à la frontière entre les États-Unis et leurs voisins du sud. Le prix décerné à cette « enquête poétique » permis à la fois d’appuyer la démarche d’une cinéaste conscientisée et d’octroyer, avec l’aide de Radio-Canada, une importante visibilité à une cause méconnue. Rarement un prix aura si bien servi.


© 2007 Charles-Stéphane Roy