lundi 21 mai 2007

Le scénario et ses artisans

Le scénario et ses artisans
2004
Paru dans la revue Séquences

La scénarisation est une écrivance


Dans la foulée de l’Atelier Grand Nord, ce camp de perfectionnement entre 12 scénaristes et un comité de conseillers de renommée internationale, Séquences initie une section consacrée à l’acte scénaristique et ses artisans, souvent parents pauvres de la chaîne de production – et de la reconnaissance publique. Nous désirons ainsi amorcer une réflexion sur cette pratique en l’analysant d’une part, puis en lançant un dialogue avec ceux qui planchent à ébaucher de nouveaux horizons, de nouvelles lignes de fuite.


Si le scénario est rarement considéré comme une œuvre en soi mais plutôt un plan de travail, il n’en demeure pas moins que ces centaines de pages viendront déterminer un budget, du matériel et des effectifs. Complètement malléable, ce matériau reste toujours à dégrossir, que ce soit par l’entremise du producteur qui réduit le budget ou du monteur qui doit respecter une certaine durée. Chaque mot du script doit donc suggérer une image concise et irremplaçable dans une structure globale à relais éprouvée au gré des épreuves et des retouches.


L’écriture devient ici une écrivance, et le scribe un pèlerin sur une route imaginaire dont il doit concevoir et le point d’origine, et la destination, et le voyage. En termes sportifs, le scénariste est non seulement un coureur à relais, il détermine également la distance de l’épreuve, le nombre de coéquipiers, la surface de revêtement, la température, l’équipement et même le chrono final… avant de remettre toutes ses approximations au coureur suivant (le réalisateur), capitaine de sa propre équipe… et de son propre plan de match !


Le scénariste, élément d’une structure de production qui l’exclue souvent au terme de sa stricte intervention, ressemble à ce que Roland Barthes appelait un « écrivant », soit ici un professionnel en constante quête de perfectionnement aux prises avec un objet mouvant. Cet objet est en soi un semblant de réalité magnifié jusqu’à en devenir un événement clos devant se suffire à lui-même quand bien même il sera éventuellement livré en pâture aux humeurs du réalisateur ou du producteur.


Pour un scénariste, écrire est donc un verbe transitif dont la fonction est de faire émerger un réel concret et matérialiste d’une suite de rêves dont il aurait délimité en cours de route autant les pourtours que les tenants et aboutissants. Les mots ne lui servent donc plus à traduire une réalité, mais bien à extraire du réel les éléments-clés, ceux dont il souhaite attirer notre regard, et ainsi fractionner cette réalité en effectuant un premier montage logiciel d’où émanera succinctement une structure dramatique.


Selon Barthes, " même si l'écrivain apporte quelque attention à l'écriture, ce soin n'est jamais ontologique... Il considère que sa parole met fin à une ambiguïté du monde. Or l'écrivain est celui qui prend le langage pour contenu par opposition à l'écrivant qui prend le monde pour contenu ". Le scénariste souscrit la plupart du temps à cette règle pour parfois mieux la transgresser (dans les cas de narrations lourdes et omniprésentes, procédé pré cinématographique – ou anti, c’est selon), la surexposer (chez Charlie Kaufman ou Chris Marker, par exemple) ou simplement la transcender (le mot-image du Gerry de Gus van Sant ou le mot-geste de La Libertad de Lisandro Alonso). D’ailleurs, le réputé Jean-Claude Carrière estime que " le scénariste est beaucoup plus un cinéaste qu’un écrivain. Savoir écrire ne peut nuire, mais ce n’est qu’une qualité parmi d’autres. Un scénarise doit également posséder des notions aussi précises que possible du montage ", du son et… du budget.


Écrire seul, récrire avec d’autres

Il faut peut-être voir ici l’une des raisons qui font que le Québec produise surtout des réalisateurs qui se scénarisent eux-mêmes, faute d’encadrement académique consacré exclusivement à l’écriture de scénarios, provoquant la raréfaction d’une main-d’œuvre spécialisée, du moins au grand écran. Des activités professionnelles telles que l’Atelier Grand Nord deviennent donc salutaires pour les scénaristes à leur second ou troisième long métrage; que ce soit en solo ou en groupe, les commentaires sur une réécriture contribuent à valider certaines convictions et en ébranler quelques autres – l’exercice s’inscrivant comme un procès – constructif – d’intentions dans un processus globalement linéaire.


Si la création est un jeu, une table ronde chapeautée par des script doctors et des confrères peut s’avérer aussi ludique qu’instructive en ouvrant des avenues insoupçonnées tout en recentrant sur son axe initial certaines sections d’un projet. Tout comme le scénario n’est que l’élément d’un ensemble d’opérations créatrices, l’évolution même de ce processus d’écriture se fait obligatoirement par étapes complémentaires, seul ou à plusieurs.


D’après Didier Azieu, auteur de La psychanalyse du génie créateur, " être créateur, c’est être capable de changer plusieurs fois de registres de fonctionnement pendant l’avancement du travail de création, et de s’en tenir au même registre tant qu’il est approprié. Cela suppose une certaine liberté de jeu entre des sous opérations différenciées et bien affirmées. " Car s’il existe un certain laxisme au niveau de la méthodologie scénaristique, la structure dramatique répond quant à elle à une logique narrative élaborée exigeant concision, cohérence… et originalité.


© 2007 Charles-Stéphane Roy