jeudi 10 mai 2007

Critique "Post Mortem"

Post Mortem
de Louis Bélanger
1999
Paru dans Séquences


Le cinéma québécois doit-il beaucoup à la Coop Vidéo et au Vidéographe ? On pourrait croire que si en observant les parcours de Pierre Falardeau, Charles Binamé ou Robert Morin, qui ont réussi à insuffler caractère et vision à une cinématographie fortement institutionnalisée. Louis Bélanger, peut-être formellement plus classique, démontre néanmoins dès son premier long métrage une maîtrise scénaristique étoffée sans être étouffante, ainsi qu’une impressionnante lucidité à tirer le maximum d’un sujet à l’intérieur d’une expérience et de moyens limités.


Tiré d’un fait divers, Post Mortem relate l’histoire de la rencontre entre Linda Faucher (Sylvie Moreau), une assistée sociale qui charme des quidam afin de les voler pour faire vivre sa fillette, et Ghislain O’Brien (Gabriel Arcand), un misanthropique gardien de nuit. Étranglée par un touriste américain, Linda se retrouve à la morgue où travaille Ghislain, qui tombe mystérieusement amoureux de la défunte. Alors que ce dernier tente d’assouvir son désir nécrophile, Linda... ressuscite. Pour la police, la question demeure: viol ou miracle ? Ce geste inexplicable réveille l’humanité chez ces deux écorchés sociaux, qui se traduira chez Linda par une prise de conscience de son mode de vie, puis chez Ghislain par un désir de se rapprocher du monde.


Malgré l’intensité et la gravité du sujet, jamais ne se profile une visée uniquement polémique où la provocation demeure un sibyllin véhicule artistique; au contraire, il est manifeste que l’intérêt de Post Mortem réside dans la portée d’un acte criminellement répréhensible sur l’existence des personnages. Pour preuve, Bélanger escamote complètement du récit les motivations de Ghislain, ce qui aurait sûrement ajouté au scabreux de l’affaire, et préfère s’attarder à l’éclosion de son humanité en relation avec son expérience avec Linda. Cette absence d’information laisse cependant le spectateur sur sa faim, car il ne se trouve jamais en mesure de saisir la motivation réelle de cette action, qui constitue tout de même le pivot du film ! En fait, tous les personnages secondaires - dont la mère de Linda, qui accorde bien rapidement le pardon à l’agresseur de sa fille - ne parviennent qu’à susciter un besoin (celui de connaître pour comprendre) qui ne sera jamais satisfait.


Il faut souligner la présence de Sylvie Moreau, qui incarne avec conviction cette mère monoparentale luttant pour sa survie en tentant de conserver sa dignité. Sa force transporte le film et tranche avec la froideur et l’hermétisme du jeu de Gabriel Arcand, confiné à un personnage qui aurait sans doute gagné à être mieux développé. Leurs performances parviennent tout de même à crédibiliser une troublante situation à la limite de l’absurde ainsi qu’à soulever des enjeux moraux fort complexes. Par sa mise en scène sobre et trépidante à la fois, Post Mortem, qui ressemble étrangement à une singulière relecture de La Belle au Bois Dormant, étonne enfin par sa richesse et confirme un auteur à part entière.


© 2007 Charles-Stéphane Roy