jeudi 10 mai 2007

Critique "Les fantômes des trois Madeleine"

Les fantômes des trois Madeleine
de Guylaine Dionne
2001
Paru dans Séquences


L’onirisme des souvenirs


« La poésie, écrivait Victor Hugo, c’est avant tout ce qu’il y a d’intime dans tout ». Et l’intimité avec la réalité des objets et de l’espace se manifeste et s’alimente surtout par l’extraction du souvenir et nos rapports émotionnels avec la mémoire. Les fantômes des trois Madeleine est avant tout un film sur la mémoire, individuelle et familiale, de trois générations de femmes indépendantes qui ont affranchi de leurs vies leurs rapports éphémères avec les hommes.


Le trajet qu’elles effectueront entre St-Hyacinthe et Gaspé sera balisé de kilomètres de souvenirs enfouis et de rêves éveillés nourris par un puissant désir exutoire de possession d’un territoire intime et d’affirmation, placé sous le signe de la passion. C’est ainsi que le pied sur l’accélérateur, la tête dans le vent et le coeur dans le rétroviseur, ces trois âmes solidaires se lancent sur une route qui les mènera au bout de la terre et de la vérité.


Guylaine Dionne a sillonné son récit en empruntant le même parcours géographique que son trio imaginaire, remontant ainsi le fleuve St-Laurent par des voies secondaires, les routes de campagne qui ont jadis alimenté l’imaginaire des vétérans cinéastes Gilles Carle et Arthur Lamothe. Il est toujours surprenant d’observer aujourd’hui la rachitique proportion de films québécois tournés à l’extérieur de la métropole ou de la Capitale, alors que la beauté, la diversité et la singularité de la morphologie du territoire québécois demeurent encore largement relégués au rang d’arrières-plans anonymes des productions étrangères.


Dans Les fantômes des trois Madeleine, l’environnement est une figure tantôt proéminente, tantôt abstraite, qui épouse en parfaite symbiose la multiplication des lieux reliés aux souvenirs enfouis dans l’esprit des trois femmes. Oeuvre aux modulations rythmiques aléatoires, structuré sur une courbe narrative sinueuse conjuguée à un passé plus qu’imparfait, le film de Guylaine Dionne carbure à l’impression du moment et se soustrait ainsi à toute trajectoire temporelle rectiligne, offrant plusieurs inflexions oniriques parées du sceau du secret.


L’intense Sylvie Drapeau campe le rôle de Marie-Madeleine, une photographe de 36 ans venant de retrouver sa mère biologique, Mado (France Arbour), une brave femme qui, en proie aux pressions cléricales de son époque, la plaça en orphelinat trente ans plus tôt. Marie-Madeleine invite alors Mado à la suivre en Gaspésie en compagnie de sa jeune fille Madeleine (Isadora Galwey), qui souffre de l’absence d’un père allemand qu’elle n’a jamais rencontré. Cette intriguante triade s’aventurera sur le douloureux chemin du souvenir et de la vérité, en proie à un mal d’aimer nourri par la culpabilité et la peur du rejet.


La liberté, qui s’est traduite par l’abandon d’un enfant chez Mado et par la rupture de Marie-Madeleine avec le père de son enfant, a laissé plusieurs cicatrices dans le coeur de ces femmes et quelques fantômes dans leurs esprits. Ici, aucun règlement de compte ou de révélation fracassante, alors que les personnages, soudés par une histoire familiale cyclique, font preuve d’une ouverture et d’un puissant désir de rapprochement envers eux.


La générosité des actrices apporte une humanité indispensable à cet ensemble de séquences oniriques plutôt abstraites, sans laquelle le film aurait facilement pu sombrer dans un maelström d’impressions vagues et creuses, sans identification possible. Si Isadora Galwey affiche une belle conviction, France Arbour offre une Mado naïve et attachante, tandis que Sylvie Drapeau, fidèle à elle-même, calibre son personnage entre la douceur et l’entêtement, que la force seule de l’expression de son visage parvient à exprimer de façon juste et authentique.


Cependant, malgré la spontanéité de l’ensemble de la distribution, la beauté de certains plans et le ton résolument personnel de la production, Les fantômes des trois Madeleine ne nous interpelle pas. La narration se situe au niveau de sous-entendus approximativement développés, les tourments passés et présents du trio manquent singulièrement de relief et d’originalité, et la facture générale de l’oeuvre souffre d’intensité dramatique.


Henri Michaux déclara que « la poésie est un cadeau de la nature, une grâce, pas un travail. La seule ambition de faire un poème suffit à le tuer. » On retrouve dans chaque scène du film l’exécution de la volonté poétique, non sa grâce et sa fluidité, alors que plane visuellement et narrativement la volonté omniprésente de la cinéaste à orner son récit d’un symbolisme simpliste et éprouvé. Néanmoins, Les fantômes des trois Madeleine parvient à marier atmosphère et émotion, une qualité rare qui laisse présager le meilleur dans un proche avenir.


© 2007 Charles-Stéphane Roy