vendredi 11 mai 2007

INM 2003

4es Images du Nouveau Monde
2003
Paru dans la revue Séquences


Certitudes et calamités d’un complexe voisinage


À sa 4e année d’activité, Images du Nouveau Monde (INM) gagne déjà en envergure, en muscle et en cohérence. Il faut être culotté ces temps-ci pour imposer une identité dans un circuit où la compétition est fratricide et dans lequel les deniers publics ne semblent destinés qu’à engraisser les géants (majoritairement métropolitains). Seconde ville à être dotée d’une infrastructure de production cinématographique d’importance, Québec a maintenant une vitrine locale d’exception, vouée à la diffusion de films non distribués en ses remparts et de productions intra murales d’auteurs confirmés ou en devenir (l’organisation pourrait d’ailleurs tabler davantage sur cette orientation).


À l’heure des manifestations culturelles généralistes, l’événement québécois s’évertue à concevoir une carte exclusivement panaméricaine afin de créer des ponts entre des cinématographies intercontinentales : ce découpage Nord-Sud, délimité aux identités ibérique, francophone et américaine, est à la fois à l’image de l’ALENA et de son contraire. INM témoigne simultanément de l’aplanissement des cultures panaméricaines, de ses voix discordantes et, paradoxalement, de l’illusion du phénomène communautaire.


Il se dégage de cette « famille » cinématographique reconstituée une impression de solitude partagée, de cohabitation malheureuse; et, pourtant, des liens se créent, malgré tout. Ces rencontres isolées au cœur de films souvent représentatifs d’une école (les indépendants états-uniens, le documentaire québécois, le drame « canadian ») ne se traduisent pas encore chez INM par des discussions publiques au terme des projections autour de sujets sociaux ou politiques, trait d’union, s’il en est un, des Amériques.


Les documentaires ont une place de choix dans la programmation d’INM, et cette année en fut une faste en découvertes. À commencer par Balseros des Espagnols Carlos Bosh et José Maria Domènech, sur le sort de ressortissants castristes et leur périple en route vers les Etats-Unis. Certains réussissent, d’autres échouent, selon des stratagèmes fort différents. La force de ce long métrage tient à sa structure en deux parties, avant et après la désertion : sept ans plus tard, les rêves se sont dissipés pour la plupart d’entre eux, tandis que d’autres sont parvenus à retrouver la dignité espérée. La limpidité du montage et le grand respect de l’équipe envers ces survivants eurent tôt fait de charmer les spectateurs.


Dans un tout autre registre, le film La Tropical de l’Américain David Turnley a insufflé au Complexe Méduse un peu de chaleur et d’ambiance avec ses rythmes afro-cubains étourdissants et son esprit de fête fort contagieux. Turnley, qui est également photographe, a passé de longues nuits à filmer l’extase des habitués de cette discothèque havanaise à ciel ouvert, à tenter de saisir l’importance culturelle de ce lieu haut en couleur, entre danse et témoignages. Décidément, Cuba a la cote depuis Wenders y a posé sa caméra.


Plus maniéré était le documentaire L’homme trop pressé prend son thé à la fourchette de la Canadienne Sylvie Groulx, présenté en première mondiale. La question cruciale ici demeure : est-on encore surpris par ces propos sur la rapidité du quotidien, les semaines de 70 heures, et la pénible conciliation travail/famille ? L’une des erreurs du film consiste à ne prendre qu’une cellule sociale (urbaine, qualifiée, exécutante) et de la grossir jusqu’à créer l’impression d’un portrait global de nos mœurs contemporaines, et ce, sans jamais questionner de front le bobo. De même, on aborde peu ou prou les ambitions, besoins économiques et, plus généralement, les raisons derrière la course. Dans le registre « avatars de la vie moderne », Carole Poliquin reste la valeur étalon au Québec.


Le manque de profondeur était également flagrant dans le brûlot Unprecedented : The 2000 Presidential Election des Américains Richard Ray Perez et Joan Sekler, présenté à guichets fermés devant un public conquis d’avance devant le discours anti-Bush. Le film enquête sur les irrégularités de la machine électorale qui furent retracées dans l’État de la Floride, où se présentait… Jeb Bush, le frère de l’autre.


À la lumière de ce boiteux exercice autour d’une élection boiteuse, un constat s’impose : Michael Moore a mis au monde un monstre ! Est-ce réellement le mandat d’un documentaire que de recadrer certaines hypothèses afin de mettre à jour une conspiration, ou est-ce plutôt le propre d’une nouvelle propagande (anti-propagandiste, il va de soi) ? Car toute course au pouvoir recèle ses jeux de coulisses et ses fraudes; si certains mettent des gants plus blancs que d’autres, il serait enfantin de ne pointer du doigt qu’un seul candidat, aussi détestable soit-il. Un peu de retenue et de mise en perspective auraient été ici de mise.


Plusieurs salles affichaient complet en ce qui a trait aux meilleurs longs métrages de fiction. Saluons Bark! de l’Américaine Kasia Adamsik, une savoureuse comédie sur le dysfonctionnement d’une jeune femme et de sa lente transformation psychique canine… jusqu’à l’aboiement ! Léger, téflon et cabotin, le film suscita quelques rires francs en révélant plusieurs rôles secondaires intéressants.


Plus grave fut le misanthropique Love Liza de l’Américain Todd Louiso, fort attendu après son récent succès d’estime chez nos voisins du sud. Le rôle principal, celui d’un homme dépressif à la suite du suicide de sa conjointe, va comme un gant à un Philip Seymour Hoffman autodestructeur, ingrat, égoïste et touchant à la fois. N’empêche que cet amalgame épisodique se terre au ras des pâquerettes, sans grande salve d’émotion, tout le contraire du fascinant All The Real Girls de David Gordon Green : suave, nuancé et atmosphérique, le second long métrage de cet émule de Terrence Malick révèle une naïveté consumée à l’image de son propos, soit la relation entre le tombeur émérite d’un village et la jeune sœur de son meilleur ami. Le rythme est lent, contemplatif; l’interprétation authentique et chaleureuse, le ton un brin complaisant mais toujours assuré. Et il y a surtout Zooney Deschanel, l’ingénue première, qui parvient avec ses airs de garçon désarçonné aux instincts insaisissables à maintenir tout au long du film une véritable tension émotionnelle. On en sort troublé et ébahi.


Sans être inoubliable, la production d’Amérique latine a volé sans contredit la vedette autant en salles que sur le podium, alors que le jury composé de Milena Flores, Yves Fortin et de ma collègue Monica Haïm a décerné à El Descando (The Resting Place) des Argentins Rodrigo Moreno, Ulises Rosell et Andrés Tambornino le Prix Tempête du meilleur long métrage. Et pour cause ! Puisant à fond dans une douce nostalgie et une ambiance carnavalesque, le film dévoile un régiment de personnages déjantés sous l’emprise d’un lieu mythique, un hôtel perdu où logèrent jadis quelques célébrités en manque de dépaysement. Les réalisateurs ont tôt fait de convier le spectateur à une virée jonchée d’outrances, d’humour et de tendresse avec force aisance et amusement. Dans la même veine s’inscrivait le caustique Como el Gato Y el Ratón (Dans l’obscurité) du Colombien Rodrigo Triana, une satire politique acidulée sur la modernisation et l’esprit de clan.


Ce qui s’annonçait comme un truculent combat de coq entre deux petites teignes d’un bidonville depuis peu nanti d’un système d’électricité, avec ses pots-de-vin et crocs-en-jambe réglementaires, dérape rapidement sur la voie du pacte de sang menant une communauté recluse à s’entretuer par envie. On rit, un peu moins, puis plus du tout face à ce jeu de massacre imprévisible et sans appel, nous rappelant explicitement le climat social colombien prévalant depuis plusieurs décennies.


Saluons enfin le court métrage d’animation Rumeurs du groupe local Kiwistiti, présenté en Ouverture. Voilà un délire qui fait du bien : magnifiquement orchestré, faussement gavroche et terriblement accrocheur. Avec les Leclerc, Trogi, Peter Allen et consort, le cinéma se porte décidément bien à Québec.


© 2007 Charles-Stéphane Roy