2002
Paru dans la revue Séquences
L’âge adulte d’une référence jeunesse
20 ans de cinéma jeunesse au Bas-Saint-Laurent : l’exploit est peu banal ! La région peut se vanter d’abriter sous son giron une activité culturelle dynamique ainsi qu’un véritable pivot didactique d’encadrement professionnel. Membre du Centre international du film pour l’enfance et la jeunesse (CIFEJ), le Carrousel possède une réputation solidement implantée au Canada et de plus en plus remarquée à l’étranger. Le Conseil d’administration, aussi dévoué qu’alerte, puis la direction générale douée de vision et de flair ont tôt fait d’instituer la recette rimouskoise, appuyés par un impressionnant contingent de partenaires régionaux, politiques et institutionnels.
À cela, je me dois de souligner l’agréable et distinguée atmosphère régnant année après année ainsi que l’enthousiasme et l’implication de plus de deux cent bénévoles. Au fil des éditions, le Carrousel de Rimouski est rapidement devenu un must régional ainsi qu’une destination cinéma incontournable, quelque part entre le Kinderfilmfest (section jeunesse de la Berlinade), le Festival du film Jeune Public de Laon, Cannes Junior et le Festival international de film et vidéo pour enfants d’Isfahan (Iran).
Pour ses 20 ans, le Carrousel a réuni certaines des personnalités ayant contribué au succès des précédentes éditions ou manifesté leur appui au festival. Parmi ceux-ci, le prolifique André Melançon, une des figures de proue du cinéma jeunesse canadien et sympathisant du Carrousel depuis 1983. Un hommage ainsi qu’une rétrospective de quelques-unes de ses premières fictions furent parmi les accomplissements notoires de cette édition, tandis que son premier public, maintenant adulte, pu revisiter accompagnés de leur progéniture quelques joyaux de leur enfance.
Du coup, ses oeuvres charnières, comme Les tacots (1974) ou le fantastique Comme les six doigts de la main (Meilleur long métrage selon l’Association québécoise de la critique cinématographique — A.Q.C.C. — en 1978), revêtirent le même éclat et le talent toujours manifeste de Melançon à conserver le jeu naturel de ses jeunes acteurs. L’autre point tournant de cette manifestation fut la projection du film La rumeur de l’ange de Mylène Lauzon, présenté en première mondiale lors de la soirée d’ouverture. Fruit d’un concours de synopsis parrainé par le Carrousel et les Productions XIII en 1999 et du soutien financier de la SODEC, ce court métrage témoigne d’une démarche tout azimuts en termes de formation, d’encadrement et de visibilité de la toute jeune relève cinématographique auquel le Carrousel fait désormais office de référence au Québec. Relancée annuellement, cette initiative de production deviendra assurément l’un des points culminants de l’événement.
Un bel équilibre fut également atteint cette année en ce qui a trait à la programmation (près d’une soixantaine de films), plus riche et variée que jamais. Côté animation, soulignons le retour du valeureux M. Edgar dans Opération Coucou de Pierre M. Trudeau, produit par l’ONF. Formellement et narrativement plus ambitieux que Coucou, M. Edgar !, ce second épisode illustre l’oiseau mécanique découvrant le cinéma et apprivoisant le monde extérieur en marge de son horloge. Habilement rythmée et visuellement accomplie, le plus grand mérite de cette fausse “ suite ” fut d’amener le spectateur là où il ne s’attendait pas. Parmi les courts métrages de fiction, un grand coup de coeur alla à Ballett ist ausgefallen (Le cours de danse est annulé) de l’Allemande Anna Wild. On y traite d’horoscope, de coup de foudre, de hasard, de crème glacée et du désir d’une fillette de mettre un peu de folie dans son quotidien. Ce récit en forme de songe où la linéarité fait la part belle aux digressions aériennes offra une réjouissante démonstration d’onirisme racontée à hauteur d’enfant. 14 minutes décidément bien courtes...
Deux longs métrages absents du palmarès – dominé par le sensible mais académique Torzók (Abandonnés) du Hongrois Arpád Sopsits – abordèrent d’ambitieuses thématiques auxquelles le public adolescent a rarement accès et se sont avérés les offrandes les plus stimulantes de la Compétition. Vingar av glas (Ailes de verre) de la suédoise Reza Bagher, malgré une mise en scène souvent maladroite et quelques clichés relationnels bien sentis, réussit néanmoins à gagner son pari d’exposer l’affranchissement des enfants d’immigrants coincés entre la tradition culturelle paternaliste et leur propre volonté à épouser les moeurs de leur pays d’adoption, façon “ Une Iranienne à Stockholm ”. Voilà une saine ambivalence entre désir et racines à révéler et cultiver davantage.
D’autre part, certains parents et professeurs ont dû s’étouffer avec leur maïs soufflé en visionnant le courageux Julietta de Christoph Stark, une sorte de Larry Clark pour débutants. Drogue, viol et violence sont au coeur de ce récit sur la responsabilité et le mensonge. Au-delà de son esthétique racoleuse, Julietta engage d’essentielles réflexions autour du passage au monde adulte à une époque où les adolescents vivent leur indépendance plus tôt que jamais. En regard à cette quête d’affirmation, la sélection de ce film confirme également l’audace et la maturité d’un événement bien ancré dans son époque.
© 2007 Charles-Stéphane Roy