jeudi 10 mai 2007

Critique "Le voyage inachevé"

Le voyage inachevé
de Jean-Thomas Bédard
2003

Paru dans la revue Séquences


La télévision fit grand état de la tragédie routière survenue dans la côte des Éboulements en 1997, alors que quarante-trois vacanciers se dirigeant vers l’Île-aux-Coudres perdirent la vie au terme de la sortie de route de leur autobus nolisé. À quelques kilomètres du lieu de l’incident, un petit village beauceron perdait par le fait même 2 % de sa population : les victimes étaient en effet des retraités appartenant au club social de la municipalité de Saint-Bernard. Quatre ans après l’impensable, le cinéaste Jean-Thomas Bédard capte les témoignages d’une communauté étonnamment soudée mais toujours fragile.


Alors que plusieurs documentaires se sont penchés sur les mécanismes du deuil avec force acuité et compassion, Le voyage inachevé se distingue par l’observation d’une dynamique inusitée de réparation émotionnelle autant individuelle que collective, issue de la richesse des liens unissant les victimes à leur entourage et leur municipalité. Étalé sur trois saisons, le film prend parti d’un esprit de corps que beaucoup pensaient malheureusement révolu.


Que ce soit un voisin, un ami ou un parent, chaque endeuillé partant à la conquête de sa nouvelle solitude semble inévitablement trouver un sens à ce post-mortem grâce au soutien de proches également écopés. Au coeur de ce petit cercle rural, l’un des agents principaux du baume collectif demeure l’Église, cette institution toujours vivante et significative dans le quotidien des aînés et, semble-t-il, d’une partie de leur descendance. À l’heure de notre obssessive laïcité à évacuer parfois même les saints des lieux de culte, il fait bon de constater que certains milieux ne jetent pas pour autant le bébé avec l’eau du bénitier...


Bédard, qui avait déjà abordé les thèmes de la reconstruction des survivants de tragédies avec La traversée de la nuit (1995), pêche ici et là par excès de linéarité en offrant son objectif à de bien minces expériences de vie faisant souvent uniquement écho à leurs propriétaires, mais parvient somme toute à éviter l’étiquette “ film de CLSC ” grâce à quelques scènes-clé, comme ces processions à dos de tracteur ou le pélerinage final sur les lieux de l’accident, durant lesquels l’acceptation des rites de la mort initie la renaissance des rites de la vie.


© 2007 Charles-Stéphane Roy