lundi 21 mai 2007

Festival des films du monde 04

Le FFM vu par…
2004
Paru dans l'hebdo ICI Montréal


Jeter le DG avec l’eau du bain, est-ce vraiment Losique ?


Il n’y a pas qu’au Québec que le FFM divise. Un peu partout sur la planète, le festival cultive d’ambigus rapports avec les distributeurs, les agents de vente, les médias et ses compétiteurs – plus de 700 à l’heure actuelle, dont ceux du « Top 10 » entretenu par la toute aussi ambiguë Fédération internationale des associations de producteurs de films (FIAPF). Fondée en 1933, cette entité fantomatique doit approuver d’ici janvier 2005 sa nouvelle charte, après avoir passé 30 ans à laisser passivement se dégrader un circuit fratricide, pour permettre, selon son président Andrés Gomez, « d’instaurer une réglementation dans le chaos qu’est devenu le réseau des festivals internationaux afin que les événements puissent interagir dans cette masse et rencontrer leurs objectifs. »


L’une des réformes les plus significatives serait de permettre à un titre particulièrement convoité de participer à plusieurs compétitions, mêmes simultanées : un film pourra ainsi jouer impunément le même jour à Venise, Montréal ou Copenhague ! Mais cela suffira-t-il à redonner à la ville aux milles clochers – devenue la cité aux milles festivals – la crédibilité, sinon le respect des institutions, de la presse et de l’industrie internationale ? Il faudra auparavant que les ténors locaux s’accordent sur le statut de l’événement, la pertinence de sa vocation et son mode d’opération. Deux clans semblent effectivement s’affronter : ceux prônant un festival populaire et hors modes, un buffet exhaustif d’œuvres (condamnées à rester) orphelines et évanescentes, puis ceux qui ne jurent que par un réchauffé berlino-cannois et/ou les stars et/ou une vitrine-encan pour placer les nouveaux films d’auteur québécois. Entre les deux, point de salut ? Et les institutions, qu’en pensent-elles ?


Au lieu d’engager un profond moratoire sur la manière dont sont dépensés leurs deniers, Téléfilm (de concert avec la Sodec) s’en est remis à une firme experte, la Secor Conseil – qui a déjà conclu en 2002 au sujet du conservatisme du CRTC qu’il « reflétait une incompréhension de l’industrie de la télévision » (!) – pour évaluer sur une base comparative les performances des principaux festivals de cinéma canadiens, louangeant par la bande le modèle expansionniste torontois et sa capacité à générer des revenus autonomes (à 16,75 $ par tête de pipe, faut-il le préciser) sur les tire-pois administratifs que sont Vancouver et Halifax.


Le FFM, récoltant la plus forte proportion de subventions prévus sur son budget annuel, est dépeinte par extension telle une tumeur financière que les institutions auraient négligée. Ainsi Money talks dans la langue et la ville de Cronenberg, si bien que le virage performatif de Téléfilm ne semble plus rencontrer plus les visées « Ciné-Club Dépôt » du FFM et de son directeur Serge Losique. Téflon aux modes et aux institutions, le calife Losique semble cultiver un antagonisme coercitif avec tout ce qui bouge : les producteurs locaux, le gouvernement, la municipalité, Anne-Marie… Mais, à l’autre bout de la chaîne, le public présent semble lui donner raison bon an mal an et constitue un indéniable argument à sa défense. Faudrait-il alors l’évincer de son temple à la faveur du grand vizir Chamberlan ou mettre l’accent sur des titres aux artisans plus « performants » et ainsi cloner le modèle torontois ? La question est plus complexe qu’elle n’y parait et trouve écho dans les propos des invités présents et passés du festival, qui en ont vu d’autres et des meilleurs. Là aussi, les opinions divergent :


NOM : Denis Seguin
PROFESSION : critique et scénariste
PUBLICATIONS : Screen International, Eye Weekly, Canadian Business
NOTE : No. 2 mondial des hebdomadaires spécialisés dans l’aspect affaires du cinéma, Screen International n’a envoyé aucun correspondant au FFM en 2004.

« Je n’ai été qu’une seule fois au FFM et je peux affirmer que peu de journalistes souhaitent couvrir à la fois Montréal et Toronto, car l’ex-Festival of Festivals lance tout simplement plus de nouveautés. Leur décision est donc parfaitement légitime. Aussi, Serge Losique est généralement dépeint dans la profession comme un has been arrogant, désorganisé, réticent à tout dialogue et administrativement opaque. Évidemment, cette même ténacité a propulsé ce populaire événement au pinacle de la vie culturelle montréalaise. Malgré la mauvaise presse et les rapports discordants avec l’État, le festival continue bon an mal an à présenter une captivante sélection. Si les gros noms bifurquent vers Toronto, on ne peut toutefois nier que le FFM manque à son devoir premier, qui est de représenter la plupart des cinématographies nationales. Mais tout porte à croire que ce n’est plus suffisant, alors qu’un autre facteur joue contre Losique : Toronto a innové en créant une plateforme multifonctionnelle, devenant un pôle d’attraction pour les vedettes, un champion des ventes de billets, un repaire pour l’industrie, un rêve pour les commanditaires et une fabuleuse machine à hype, exposant par le fait même la désuétude du mandat traditionnel du FFM. »


NOM : Eddie Cockrell
PROFESSION : Consultant en programmation et rédacteur
EMPLOYEURS : American Film Institute Theatre, Variety, indieWIRE
NOTE : Variety (No. 1 mondial des hebdomadaires spécialisés dans l’aspect financier du cinéma) initie cette année au FFM un programme des meilleurs films des Amériques

« Je prospecte annuellement les festivals de Berlin, Karlovy Vary, Montréal et Toronto. Ce que j’apprécie du FFM est le fait que chacune des projections constitue une surprise. Voilà cinq ans que je fréquente le festival et j’ai constamment été impressionné par la qualité des films sélectionnés. Je suis partiellement au courant des tensions politiques entourant sa direction mais cela ne fait pas reculer la revue. En fait, Variety ne dépêche ici qu’un critique de moins qu’à Toronto [4 contre 5] ! En termes de découvertes et de coups de cœur, le FFM n’a rien à envier à quiconque. »


NOMS : Rick Caine et Debbie Melnyk
PROFESSION : cinéastes, scénaristes et producteurs
PLUS RÉCENTE RÉALISATION : Citizen Black, un documentaire sur Conrad Black
NOTE : ce film constituait l’une des rares première mondiales au FFM cette année qui, de surcroît, ait échappé à Toronto

« Le FFM nous a initialement sélectionné, puis nous avons ensuite choisit Montréal. Il faut préciser que nous avions présenté un film à Toronto en 2001 et, malgré une revue de presse élogieuse, nous n’avions pu trouver de distributeurs. Participer à un festival et repartir bredouille, ce n’est pas assez satisfaisant. La semaine dernière, notre modeste maison de production a réussi à vendre son catalogue entier [4 films] lors du Marché du film de Montréal, en plus de trouver des investisseurs locaux pour notre prochain projet, et ce, malgré de fortes pressions du Festival de Toronto visant à nous décourager de participer au FFM. »


NOM : Dominique Arel
PROFESSION : Professeur agrégé à l'École d'Études Politiques de l’Université d'Ottawa et correspondant
PUBLICATION : Filmfestivals.com
NOTE : Filmfestivals.com est le plus exhaustif site d’actualité festivalière sur le web

« Si Téléfilm et la Sodec reconduisent la vocation du FFM (qui n’a pas changé d’un iota depuis ses débuts : présenter des premières, des découvertes et des films non distribués), ils doivent maintenir Losique en place, qui, lui, devra en retour faire preuve d’une réelle transparence dans ses finances, [déplacer son] agressivité au niveau du marketing, donner plus de latitude à ses programmateurs et déléguer la gestion pratique de l’événement à l’externe, par exemple au Groupe Spectra. Blâmer strictement Losique pour tout et son contraire n’arrangera rien à l’affaire : le FFM doit subir, idéalement avec son concours et ses connaissances, une refonte non pas de son mandat initial – ce dont nombre de gens de l’industrie semble avoir oublié depuis que Toronto est devenu un monstre – mais bien de son mode d’opération, qui doit se traduire par des liens plus stratégiques avec les partenaires étrangers et une réelle ouverture envers les besoins de l’industrie locale.

Bien qu’inconstante, sa réputation à l’étranger est réelle, comparativement au FCMM qui, soyons francs, demeure une gloire locale offrant peu de premières. Le FFM doit impérativement se repositionner face à Toronto et aux autres, qui se livrent déjà une guerre féroce : Cannes torpille Berlin, qui nuit à son tour à Rotterdam, tandis que Toronto joue du coude avec Venise (surtout pour attirer les Américains), qui n’hésite pas lui non plus à court-circuiter Locarno à la moindre occasion ! Une fusion avec le FCMM pourrait peut-être devenir bénéfique pour les deux événements [et forcément pour la Sodec, qui y gagnerait au change] quoique peu probable en compagnie des forces en présence. Surtout, il faut éviter toute fusion forcée [lire « putsch »] qui aliénerait les publics ou les contacts de chaque organisation. Décerner moins de prix, mais accompagnés de plus d’argent, pourrait également contribuer à reconquérir les producteurs : à ce titre, San Sebastian remet depuis peu 110 000 dollars US au jeune cinéaste le plus prometteur, et ils ont pu ainsi multiplier le nombre de soumissions ! Mais je crois qu’il faut surtout respecter le noyau dur de cinéphiles fidèles à la formule en place : ce n’est pas à Toronto qu’un film turc pourra attirer plus de spectateurs qu’une primeur américaine, comme c’est souvent le cas à Montréal. »


Le mot de la fin revient à Jacques Richard, cinéaste, scénariste et producteur du fascinant documentaire fleuve Le fantôme d’Henri Langlois, présenté incidemment cette année au FFM : « À voir la programmation de la 28e édition du FFM, on retrouve bien toute l’influence qu’Henri Langlois [fondateur de la Cinémathèque française, pionnier de la conservation des films, influence souterraine derrière l’éclosion de la Nouvelle Vague] a pu exercer sur Serge Losique, un de ses fils spirituels. On y retrouve de tout, sans réelle distinction hiérarchique, avec l’intention d’inciter le public à découvrir sans préconception. » Au-delà donc de son discours aride et de ses manières va-t-en-guerre, le DG fera-t-il preuve d’ouverture lors de sa réplique aux conclusions du rapport Secor ? Et s’il est évincé, hara-kirisera-t-il ce festival qui lui « appartient » légalement ? Quoi qu’il en soit, on ne peut que se demander si le fantôme de Losique survivra, lui, à son imminente exécution publique.


© 2007 Charles-Stéphane Roy