lundi 14 mai 2007

Berlin 04: compétition

54e Festival du film de Berlin
2004
Paru dans la revue Séquences

Entre retours et exils


De par son calendrier hâtif (début février) et son décor peu paradisiaque où se profilent quelques nuages gris sur les structures vertigineuses de verre de l’ultra-moderne Potsdamer Platz, la Berlinale accepte avec panache son statut de second violon derrière Cannes. Coïncidant avec la sortie européenne des titres américains les plus populaires de l’automne, l’événement fait la part belle aux canons pré-oscarisés (Monster, Cold Mountain) en plus de repêcher les auteurs français habituellement boudés par la Croisette, dont Éric Rohmer et Patrice Leconte cette année.


En plus de l’imposant Marché du film européen, c’est plus de 400 films réunis dans une dizaine de sections qu’auront à se mettre sous la dent les voraces cinéphiles berlinois, pour lesquels le festival ouvre toutes grandes ses salles. Berlin constitue également une excellente plateforme pour la cinématographie allemande de l’année – qui, il faut le mentionner, peine à se faufiler dans les grandes compétitions à l’étranger – en réservant pas moins de trois sections aux vétérans et novices locaux. Notons enfin l’existence du Talent Campus réservé aux étudiants en cinéma et aux jeunes professionnels, où se relaient pendant une semaine des séminaires prodigués par de grosses pointures comme Jack Valenti, ainsi que le Kinderfilmfest, une section dédiée aux films pour les 6-18 jouissant d’une excellente réputation internationale.


Le fait que la compétition regroupe moins de films qu’auparavant n’est pas sans soulever quelques inquiétudes concernant le trafic d’influence que l’événement parvient encore à générer face à ses concurrents, dont l’imprévisible Mostra vénitienne et même le frondeur Rotterdam, qui précède son voisin teuton de quelques jours à peine. Et pourtant, la Berlinale parvient à attirer de vieux maîtres et quelques têtes fortes du cinéma contemporain, qui ont néanmoins laissé de glace les acheteurs internationaux, visiblement peu réceptifs face à tant de désespoir et de violence psychologique.


En effet, quelques grands noms offrirent des films peu inspirés ou carrément ratés, comme ce fut le cas de Country of my Skull de John Boorman, pourtant fondé sur de nobles intentions, soit dramatiser les audiences de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation sud-africaine au terme de l’Apartheid. Autour d’un trio d’acteurs à faire baver d’envie (Juliette Binoche, Samuel L. Jackson et Brendan Gleeson), le cinéaste a tissé de fil blanc une intrigue accessoire et ainsi saboté d’intéressantes prémisses sur le poids de la responsabilité des Blancs et le traitement médiatique à l’étranger de cette période de transition.


Dans un tout autre registre, le curieux Triple Agent de l’octogénaire Rohmer a suscité une franche perplexité chez la critique, provoquée principalement par le statisme théâtralisant de l’ensemble et le sujet même de ce feuilleton historique pour deux partitions, qui s’attaque au sort de ressortissants communistes plantés à Paris durant la guerre civile espagnole. Enchaînement de dialogues nourris de convictions politiques opaques et contradictoires entre un mari souvent absent et sa candide épouse, le film épuise le spectateur tant il s’acharne à brouiller des pistes dont les dénouements surviennent pourtant hors champ ! Il en fut tout autre de Feux rouges de Cédric Kahn et de Confidences trop intimes de Patrice Leconte, les deux autres films français de la compétition : ces fausses intrigues d’un couple en érosion dans le premier et du désir freudien de répétition d’une première rencontre dans le second constituèrent de véritables bijoux de concision narrative en plus de présenter d’étonnants contre-emplois de Jean-Pierre Darroussin et Fabrice Luchini.


La Trilogie: pour Hélène du maître Theo Angelopoulos fut attendu avec une telle impatience qu’une certaine déception fut palpable à la vue de cette lourde fresque. La reconstitution d’un village entier, les centaines de figurants et la majestueuse direction photo n’ont pu pallier à la surenchère d’émotions de l’actrice Alexandra Aidini et à la fatalité de son personnage à travers quarante ans de guerres et de migrations balkaniques. Avec une durée avoisinant les trois heures, le film amplifie et s’étend largement sur les malheurs brechtiens de ce couple bafoué par l’Histoire au détriment des germes socio-politiques, trop rapidement évacués. Attendons toutefois les deux autres essais du cinéaste grec avant de juger définitivement cette exécution.


Les véritables surprises du concours furent par contre l’apanage de jeunes cinéastes casse-gueule : tandis que le Belge Stéphane Vuillet (25° en hiver) et l’Américain Richard Linklater (Before Sunset) dévoilaient leurs plus récentes escapades ludiques et que le Sud-Coréen Kim Ki-Duk (Samaria) et l’Italien Matteo Garrone (Primo Amore) malmenaient leurs actrices dans de douteuses mais intrigantes fables, une onde de choc fut engendrée par le réaliste Maria, Llena Eres de Gracia de l’Américain Joshua Marston, autour d’une passeuse de drogue de 16 ans, et l’éventuel récipiendaire de l’Ours d’Or et du prix de la critique internationale FIPRESCI Gegen die Wand (Contre les murs) de l’Allemand d’origine turque Fatih Akin, une enlevante odyssée au cœur de la communauté turque de Hambourg centrée sur le mariage en blanc de deux suicidaires.


Voilà un exemple d’équilibre judicieux entre le poids des traditions, la désintégration de la cellule maritale et des personnages ravageurs. Qui plus est, l’ultime récompense retourne dans sa contrée d’origine pour la première fois depuis 1988 grâce à un cinéaste « différemment nationalisé» (dixit une certaine presse nationaliste locale) et une actrice issue du porno qui s’est attirée depuis le dévoilement du palmarès les foudres de sa famille et de la droite bien-pensante… Berlin se rappellera longtemps de ce retour au bercail !


© 2007 Charles-Stéphane Roy