jeudi 10 mai 2007

Critique "Elvis Gratton 2 : Miracle à Memphis"

Elvis Gratton 2 : Miracle à Memphis
de Pierre Falardeau
1999
Paru dans Séquences


Séparer le subtil de l’épais

Gage de fonds pour le film Octobre, Elvis Gratton II est en réalité un travail alimentaire déguisé en satire politico-sociale. Quatrième épisode des mésaventures de l’indécrottable garagiste Robert Gratton, Miracle à Memphis dénote cette même volonté de viser le Canadien Français moyen, bourré de défauts et vendu au rêve américain. Mais depuis quatorze ans, bien des événements se sont produits et le discours anti-néocolonialiste du cinéaste devient aujourd’hui plus que redondant. Peut-on vraiment parler de miracle ?


Après sa résurrection, Bob Gratton retrouve son incompréhensible acolyte Méo pour de nouvelles péripéties, cette fois dans le domaine du spectacle. Récupéré par le mercantile D. Bill Clinton, cet Elvis banlieusard devient une star du jour au lendemain. Exit sa femme Linda, enlevée par des extra-terrestres (...n’importe quoi !); exit également Groleau, son comparse magouilleur de l’hôtel de ville: cette fois, plus personne n’obstrue la voie de Bob Gratton vers la célébrité. Ne possédant effectivement plus ni famille ni emploi, le « King des kings » devient pur objet de consommation. Et c’est exactement ce qui devient navrant et lassant: le grassouillet garagiste, à la fois déterminé et naïf, se fait entraîner dans toutes sortes de situations comme un chien belliqueux mais docile, en chignant timidement quelquefois sur les « crottés de l’Est » ou bien les « séparatisses ». Il ne lui reste que sa bêtise et sa maladresse, surexploitées dans des scènes répétitives et peu imaginatives, qui laissent une impression de déjà-vu.


Falardeau tire par contre à boulets rouges sur une certaine imagerie du mercantilisme social ainsi que sur les têtes d’affiche de la scène politique canadienne. Et paradoxalement, l’une semble rejoindre l’autre, tant par leur caractère manipulateur que par leur propension à vendre massivement des idées par des produits sans réelle valeur. « Think Big », le nouveau leitmotiv grattonien, résume bien ce culte du produit dérivé et du plus grand que nature.


Il est cependant impardonnable que la démonstration critique de ce phénomène social devienne dans le film de Falardeau une pathétique et rétrograde mise en application de règles élémentaires de mise en marché, avec comme résultat que Miracle à Memphis, qui a lui-même bénéficié d’un financement massif contrairement à son prédécesseur, ressemble plus à un interminable infomercial qu’au pamphlet social qu’il prétend être. Certes par esprit de provocation, Falardeau, en jouant à la pute offensée, tourne les drapeaux canadiens au ridicule, mais sans réelle critique formelle, peut-être parce qu’il ne peut pas complètement mordre la main qui le nourrit. Idem pour les « Radio-Cadenas » et « Genmarderie royale », les mêmes contrepèteries falardiennes que ce personnage nous a ressortit lors de ses manifestations publiques depuis 10 ans, tel un disque rayé.


Est-ce que Elvis Gratton II n’aurait jamais dû voir le jour ? Disons seulement que le personnage et son propos post-référendaire auraient eu plus de pertinence et d’impact dix ans auparavant, lors du retour au mutisme constitutionnel sous le régime Bourassa et dans l’effervescence des débuts de la mondialisation. Mais Bob Gratton, sorte de croisement pathologique entre Stéphane Dion et Benny Hill, renvoie encore aujourd’hui à ce stéréotype de la populace canadienne française affreuse, sale et méchante qu’on retrouve dans une multitude de longs métrages québécois qu’on pourrait taxer de « cinéma de boulevard », et qui, néanmoins, fait toujours tristement courir les foules. Cependant, à force de s’acharner sur le québécois moyen, il parait évident que le produit devient moyen, et qu’on indique plus que jamais au spectateur de laisser son cerveau au vestiaire.


Mais Poulin et Falardeau ne pouvaient passer à côté d’une reprise de leur seul « hit ». Dommage que le résultat soit si bâclé (dénouement ou fin ouverte ? on cherche encore...), si mal tourné (raccords douteux, rythme inexistant) et finalement si peu drôle (auquel ne manquent que les tartes à la crème). Il semble évident que sans support dramatique - qui fit la force de ses meilleurs films tel Le Steak et Le Party - Falardeau s’est engagé malhabilement sur le terrain miné de la comédie en procédant à un piteux recyclage de formules éprouvées et désuètes; bref, en se fiant sur la seule popularité de ce mythique personnage plus grossier que nature. Comme si, après avoir conclu un bref cessez-le-feu avec Téléfilm Canada, le cinéaste aurait été si étouffé par cette soudaine et inhabituelle liberté de parole qu’il en aurait ainsi perdu toute la verve et l’ardeur créatrice inhérente à son insurrection permanente. Vivement la reprise des hostilités !


© 2007 Charles-Stéphane Roy