jeudi 10 mai 2007

Critique "Fin août, début septembre"

Fin août, début septembre
de Olivier Assayas
1999
Paru dans Séquences


Microcosmes intimes


Olivier Assayas essaie. De filmer comment penser, de penser comment filmer. Ce cinéaste et scénariste fuit les certitudes afin de porter son regard sur les hésitations, les hiatus, les actions vaines et les non-sens pour réaliser des ébauches stylisées, des brouillons peaufinés. Loin d’être affranchi de toute affiliation, Fin août, début septembre appartient bel et bien à cette veine, avec ses compatriotes Arnaud Dupleschin et Bruno Podalydès, du film épuré de ton, d’objet, voire d’intrigue et d’artifices; où submergent des récits apparemment balbutiants jonchés de personnages cultivant les impasses existentielles en quête d’improbables absolus.

Fin août, début septembre propose un polyptyque savamment déconstruit, une fresque explicitement inachevée où sont exposés les atermoiements et paradoxes de trentenaires prisonniers de leur amertume envers leur propre incapacité à diriger leurs destinées. Portrait polymorphique, aléatoire de ton, à la rythmique syncopée, tantôt poétique, parfois philosophique; cette rhétorique privilégiant une esthétique de l’approximation s’avère à la fois scolaire et néanmoins parfaitement en symbiose avec le propos. Assayas, comme l’avait tenté le Claude Sautet des Choses de la vie et de Vincent, François, Paul et les autres, observe quelques instants, intenses ou futiles, au sein de microcosmes intimes et professionnels au seuil de l’éclatement. Il en résulte un objet illuminé d’une apparente simplicité qui parvient cependant à susciter une réflexion sur le temps et la quête interpersonnelle du bonheur.

Au centre du récit se joue la relation amicale et professionnelle entre Adrien (François Cluzet) et Gabriel (Mathieu Almaric), écrivains désillusionnés par une reconnaissance tardant à se manifester, qui entretiennent un rapport érodé progressivement par un mal incurable chez le premier ainsi qu’un cul-de-sac amoureux chez le second. Adrien chevauche le peu de temps qu’il lui reste avec désinvolture, non pas celle du désemparé, mais celle d’un être lucide, tentant ultimement de se réconcilier avec ses contradictions.

Quant à lui, Gabriel, l’insaisissable paumé sentimental, vacille sans grande conviction entre l’impétueuse Anne (Virginie Ledoyen) et la nostalgique Penny (Jeanne Balibar), embêté à devoir trancher entre une flamme qui tarde à s’embraser et une autre à s’éteindre. À cette impasse amoureuse se greffe une insatisfaction professionnelle, aucun boulot ne convenant aux obscures ambitions de cet indécis chronique qui, pourtant juge des actes de ses proches, éprouve de la difficulté à mettre de l’ordre dans sa propre vie et ses priorités. Le décès subit d’Adrien, à la mi-temps du film, viendra bouleverser l’existence de ses proches, provoquant l’urgence de saisir la vie à bout de bras par-delà leurs incertitudes.

L’auteur d’Irma Vep privilégie une approche où chaque film s’inscrit dans une perspective d’évolution créative diachronique, à la fois esquisse puis aboutissement ; et, en ce sens, Fin août, début septembre s’avère son projet le plus ambitieux, œuvre achevée mais également tentative préparatoire aux Destinées sentimentales, déjà en chantier. Assayas pose des pistes, emprunte des voies narratives qu’il monte hors de toute structure scénaristique rectiligne, où le grave côtoie le banal (de l’insécurité face au deuil à la difficulté de revendre un logement parisien); enchaîne les séquences dans une dynamique périphérique, si bien que le spectateur doit non pas isoler une logique générale à cette entreprise, mais bien investir son regard dans les menus détails qui, somme toute, constituent le véritable intérêt du film.

Véritable mosaïque aux pièces tronquées, le film s’articule de manière dysgraphique : la majorité des scènes, de longueur et d’intensité variables, possèdent de curieux et inattendus points de chute en plus de cultiver d’ambigus rapports avec les intertitres, conférant une liberté certaine au spectateur de localiser la nature des liens – ou de l’absence de liens – entre les séquences. Fondus au noir alambiqués, souvent à contretemps avec l’action; caméra volubile mais fidèle aux personnages; éclairages, costumes et décors hyper-réalistes : Assayas, disciple d’Éric Rohmer et d’Ingmar Bergman, a réalisé une sorte d’essai-vérité, opération dans laquelle la démarche (visée socio-artistique) importe plus que le résultat, prémisse appartenant aussi bien à la création littéraire qu’au documentaire.

Bien que l’intention soit noble, il n’en demeure pas moins que le film fascine moins qu’il n’irrite, en majeure partie par les tièdes performances d’Almaric (étonnement linéaire et ponctuée d’irritants rictus), de la curieuse Balibar - qui semble toujours jouer dans un autre film – puis de Ledoyen (de la perversité à la tendresse, sa Anne sonne tout faux).

Heureusement, Cluzet et Mia Hansen-Love, en candide minette, revitalisent avec fraîcheur et justesse une distribution souvent peu éclatante. Conçu autour d’un noyau substantiel mais trop épars, Fin août, début septembre reste une éloquente démonstration cinéma, terriblement française dans sa facture et ses dialogues, qui possède le revers de ses qualités. Assayas, sans l’éclat et le radicalisme d’un Godard, réhabilite à son tour le droit à l’erreur et à l’expérimentation, composantes intrinsèques du processus de recherche et de création. Ne serait ce que pour l’intégrité de sa démarche, son œuvre commande le respect.

© 2007 Charles-Stéphane Roy