Paru dans la revue Séquences
Les solitudes du festivalier
Logée entre les sections plus prestigieuses du Festival des films du monde, peu publicisés et présentés la plupart du temps au sous-sol du cinéma Parisien, les films de la catégorie Panorama Canada n’ont certes pu jouir de la présence de nombreux spectateurs; sort injuste s’il en est un, alors que les productions indépendantes hors Québec peinent à se frayer une place sur les écrans commerciaux le reste de l’année. Il fallait néanmoins faire preuve d’un enthousiasme bien téméraire pour visionner les quelques cinquante films à l’affiche de cette sélection incohérente et maladroitement orchestrée.
Le manque de direction certain au niveau de la programmation a laissé une impression d’amateurisme aux usagers du Marché du film, instance inacceptable dans un festival de ce calibre. Plusieurs ont en effet sourcillé face à la présence de revenants (Bob Clark, Paul Lynch) et oeuvres mineures, tels Au hasard l’amour de Stéphane Géhami, un imbuvable acte de nombrilisme artistique, ou encore So Faraway And Blue de Roy Cross, un interminable road movie composé de la plupart des poncifs du genre.
En fait, la majorité des longs métrages souffraient cette année d’une absence de rigueur plutôt inquiétante, et laissaient planer le doute une fois de plus que les oeuvres nationales plus substantielles transitent désormais à la section Perspective Canada du Festival de Toronto plutôt qu’ici.
Côté fiction, le long métrage le plus solide fut sans conteste Solitude de Robin Schlaht, adapté de la nouvelle The Fat Lady With the Thin Face de Connie Gault, qui participa également à l’écriture du scénario. Ce récit humaniste se déroulant dans un monastère de la Saskatchewan expose les relations interpersonnelles entre un moine perplexe (Lothaire Bluteau), une femme désabusée (Wendy Anderson) et une adolescente à l’identité trouble (Vanessa Martinez). À travers une série d’observations et de liens causals, la caméra sobre et efficace de Schlat parvient à imposer une atmosphère sereine et réflexive sur le destin de personnages d’une savante et subtile consistance psychologique. Faits notables: les moines ne sont ni pervers ni en rupture de ban, et le jeu de Lothaire Bluteau s’avère étonnamment sympathique et nuancé. Comment alors bouder notre plaisir ?
Les plus intenses moments de ce Panorama Canada sont par contre survenus lors de la présentation des documentaires. Le déroutant Westray de Paul Cowan, une brique de quatre-vingts minutes d’un anticonformisme magistral, engendre une réelle onde de choc avec un montage sonore d’une étonnante complexité et un traitement dramatique de l’information hors du commun. Voilà un documentariste singulier, fidèle au style dénonciateur de ses précédents Give Me Your Soul et Double or Nothing.
Une exploitation minière de la Nouvelle-Écosse se retrouve aujour’hui au banc des accusés face aux témoignages de trois veuves et trois survivants de l’explosion de la mine de Westray survenu en mai 1992. Alors que la trame narrative dresse une chronologie classique des événements, des voix-off bombardent l’écran d’une salve de bruits et de commentaires d’une anarchique maîtrise. Anecdotes et témoignages officiels se relaient alors sans répit avec une fluidité de tous les instants, desservis par une impressionnante succession de films et de photos d’époque. À la lumière de cette oeuvre aboutie, il s’avère que Paul Cowan est un grand documentariste, d’une rigueur et d’un formalisme exceptionnels.
Je tiens enfin à remercier la cinéaste Tahani Rached de m’avoir permis de vivre l’une des projections les plus émouvantes qu’il m’ait été donné d’assister au cinéma Impérial. La vétuste salle semblait prédestinée à accueillir le magnifique À travers chants, un documentaire présenté à guichets fermés (!!) devant un public qui se souviendra longtemps de la séance du 29 août dernier. Le film suit les répétitions de l’Ensemble vocal d’Outremont et donne tribune aux membres de la chorale, qui partagent les grandeurs et (rares) misères de l’accomplissement collectif.
Ces participants, quel que soit leur âge, classe sociale ou formation musicale, semblent vivre à l’unisson une véritable passion pour un passe-temps devenu au fil des concerts un inestimable mode de vie. Cette foi musicale est suscitée en majeure partie grâce au travail et à la personnalité de leur directrice musicale, une femme animée d’une dévotion et d’un sens de l’humour fort contagieux. En prime, à la suite d’une ovation debout chaudement méritée, la chorale, présente et non peu fière de la réaction du public, lui offrit un tour de chant rassembleur. Celui-ci, manifestement interpellé par le film, semblait pour un bref instant abandonner son individualité spectatorielle afin de vivre une expérience de groupe, ce qui n’est pas un mince exploit. Assurément la meilleure note du Panorama Canada cette année.
© 2007 Charles-Stéphane Roy