jeudi 10 mai 2007

FanTasia 01: sélection internationale

FanTasia 2001 — Sélection internationale
Paru dans la revue Séquences


En dents et en scies


Les films internationaux programmés par Mitch Davis et Karim Hussain constituèrent cette année une sélection sans dénominateur commun au premier coup d’oeil, mais passablement décevante au fil d’arrivée. À la lumière de cette orgie d’effets tape-à-l’oeil et de clichés éculés, il faut croire que le film de genre occidental accuse un essoufflement et que ses meilleures oeuvres transitent désormais par les festivals plus sérieux en quête de populisme (à cet effet, Cannes et ses disciples ont récupéré depuis peu les séances de minuit des circuits alternatifs américains). Mais à FanTasia, quelques films sont parvenu — sans toutefois convaincre complètement — à se dégager de la poisseuse masse d’oeuvres mineures semblant se destiner exclusivement à une carrière de clubs vidéo.


Du côté des courts métrages, signalons l’inspiré et efficace Chrono du Québécois Maxime Perrier, dans lequel un homme complote l’assassinat de sa conjointe; vif, bien articulé et conclu dans les règles de l’art du court, ce pastiche des frères Coen valait le détour. Mentionnons également le Pâques Man du Français Michel Leray, une ahurissante démonstration d’infantilisation artistique durant laquelle un homme découvre les joies de la torture et de la manipulation. Déconcertant, le film dénote une perversion peu commune que l’on prendrait un vil plaisir à revoir l’an prochain, si toutefois Leray n’est pas interné d’ici là.


On attendait beaucoup du Ghost World de l’ex-dessinateur Terry Zwigoff, une adaptation de la bande dessinée de Daniel Clowes. Certes, les personnages sont colorés et la direction artistique passablement élaborée, mais il se dégage de ce film monotone une gênante complaisance pour la réclusion et le désespoir dûe en partie à une laconique absence de répartie au niveau du discours. À cet effet, même le personnage de Steve Buscemi, paumé entre les paumés, dénigre le pathétisme de ses collègues collectionneurs, avec lesquels il partage pourtant plusieurs affinités ! En fait, le réel handicap du film réside peut-être dans le timing de sa sortie, alors que l’étude de moeurs grinçante pour adolescents fait rage depuis le redoutable Welcome to the Dollhouse de Todd Solondz.


Dans le registre de la solitude mal assumée, le Chasing Sleep de Michael Walker a réussi son pari de maintenir les sens du spectateur éveillés et alertes jusqu’à la toute fin. Cette intrusion dans la paranoïa d’un Jeff Daniels fort crédible en professeur cocufié attendant une épouse qui ne reviendra jamais prouve qu’un solide scénario, mis en scène sobrement et rythmé adéquatement, atteint immanquablement sa cible. L’Australien Scott Reynolds a également assimilé les mécanismes du suspense et le prouve une fois de plus dans When Strangers Appear, un récit à tiroirs qui s’amuse manifestement à exagérer les ressorts dramatiques propres au ‘whodunnit’ en brouillant les fausses pistes si bien qu’on se surprend rapidement à laisser notre raison se faire allégrement manipuler par le diabolique metteur en scène.


Mais pour combler les fanatiques de sang chaud, il fallait se tourner cette année vers deux oeuvres atypiques dans leurs juxtapositions de styles. D’une part, Denti, de l’Italien Gabriele Salvatores (Mediterraneo) allie comédie et hémoglobine, un peu à la manière Jeunet-Caro. L’histoire du complexe d’Antonio face à ses incisives démesurées et de ses rencontres malheureuses avec des dentistes peu recommandables est racontée avec une poésie fantasmagorique et un aplomb tels que le résultat s’avère à la fois inclassable et tributaire de la comédie à l’italienne et du film d’horreur giallo.


D’autre part, le britannique Andrew Parkinson a eu l’idée saugrenue d’appliquer à une histoire de zombie un traitement socio-réaliste avec Dead Creatures, un drame où le mal de vivre prend une toute nouvelle signification. Un groupe de morts-vivants résidant dans une métropole anglaise survit en se nourissant de chair humaine. Déjà-vu ? Évidemment ! Mais entre deux menus anthropophages, une séance d’auto-mutilation et un interrogatoire avec un inquiétant bourreau, le film expose les tourments d’une nouvelle (!) jeunesse ouvrière britannique avec un réalisme et des thématiques propres au Naked de Mike Leigh: l’étude de moeurs zombie est née ! Sans foie ni lois, ces exclus acceptent pleinement leur condition et choisissent de demeurer en marge de toute morale en épousant d’étranges normes sociales. Le Cronenberg de Shivers et de Brood n’aurait pas renié cette horreur douce et cette habileté à présenter des postulats inconcevables, derrière lesquels se trame bel et bien une esquisse détonante de la situation actuelle en Grande-Bretagne.


Ces oeuvres proposent enfin un intéressant pacte entre le cinéma national, le film de genre et de classe sociale et — ultimement — leurs adeptes, que FanTasia parvient quelquefois à réunir dans la même salle. Chez un événement s’acharnant à se soustraire à toute identité distinctive, ce mandat demeure d’autant plus nécessaire depuis que l’éclatement est devenue une mode souvent mal assumée au sein du circuit festivalier.


© 2007 Charles-Stéphane Roy