jeudi 19 juillet 2007

Critique "Un dimanche à Kigali"

Un dimanche à Kigali
de Robert Favreau
2006

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


RWANDA MON AMOUR

Un dimanche à Kigali est tout fait de béton : casting, budget, adaptation. Difficile à digérer d’un coup, la pilule n’en est pas moins bénéfique.


«Les survivants rwandais vivent avec le génocide jour après jour, ce fut pour eux un cataclysme dont ils ressentiront les effets pour le restant de leurs jours. C’est dur d’entendre quelqu’un te dire que 75 des 76 membres de sa famille ont péri sous les machettes. Si notre psychologue attitré a veillé à expliquer aux figurants locaux la différence entre une reconstitution et un vrai soulèvement, c’est que dans la tradition orale, une rumeur peut rapidement créer la panique.»


Voilà comment Robert Favreau, réalisateur d’Un dimanche à Kigali, l’adaptation de la biographie romancée de Gil Courtemanche parue en 2000, explique la manière dont les Rwandais consentants ont pu recréer le génocide de 1994 qui décima 800 000 Rwandais, majoritairement tutsis. En entendant la chaleur de sa voix, son débit assuré et l’humanisme triomphant d’une expérience émotionnellement éprouvante, on sait que Favreau était l’homme tout indiqué pour mener à terme cette entreprise délicate.


Et délicate de toutes les manières imaginables : il lui a fallu recréer l’amour comme la mort et la détresse sur les lieux mêmes où les extrémistes hutus ont purgé à la machette la «plèbe tutsi» suite à l’écrasement de l’avion du président Habyarimana, puiser les meilleures images d’un roman populaire tout en narration sous l’œil de son auteur, convaincre les institutions canadiennes du bien-fondé de financer une histoire où la noblesse d’âme du pays et sa contribution humanitaire sont sérieusement compromises, composer avec une expérience inédite ici – filmer entièrement à l’étranger une grosse fiction (38 jours de tournage, 27 décors différents, 40 techniciens, 15 acteurs québécois, un budget de 7 M$) et peut-être surtout aborder un sujet qu’aucun film de fiction francophone n’avait eu le courage de dépeindre avant lui.


Un dimanche à Kigali, quels qu’en soient ses qualités et ses défauts, est donc forcément important, non plus comme simple déniaisage face à notre maladive timidité à filmer et aller filmer l’étranger, mais aussi dorénavant en tant que participation et symbole d’appartenance aux mythes de l’Histoire lorsqu’ils viennent de se dérouler sous nos yeux de téléspectateurs. Une fois passés le jeu d’objecteur de conscience blessé dont Luc Picard semble difficilement se débarrasser, la direction photo trop peu abrasive pour l’occasion, une structure événementielle puis un dénouement moins conformes et efficaces que ceux du roman, toute la compassion, l’impuissance, la terreur et l’incompréhension face aux événements de ce Dimanche à Kigali prennent leur sens et justifient les moyens et l’attention suscités par ce film dans le contexte blanc/québécois/occidental.


Si les femmes prennent une place prépondérante dans le récit, c’est qu’elles peuvent être associées à la terre rwandaise, cette beauté généreuse qu’on a pillé et défiguré avec rage et envie. «Les Rwandais vivant ici étaient ambivalents face au livre de Courtemanche ; ils ont certes reconnu son importance, mais n’étaient pas à l’aise avec son hypersexualisation des femmes [soient elles séduisent les étrangers pour partir, soit elles se font violer ou se prostituent], admet Favreau. Et pourtant, leur sort a été occulté des statistiques du génocide : 250 000 furent violées en 100 jours, et le film veut mettre la lumière sur ça».


Également à la tête des Muses orphelines, une autre adaptation (cette fois de Michel-Marc Bouchard), Favreau estime que la réaction du public déterminera si Kigali restera une exception dans la production d’ici ou s’il y aura plus de films québécois tournés à l’étranger. «Plusieurs hommes ou femmes nés ici partagent leur vie avec quelqu’un venu de l’extérieur, et une nouvelle sensibilité existe de plus en plus au Québec. Il faut que nos films en tiennent compte», conclut-il.


© 2007 Charles-Stéphane Roy