jeudi 19 juillet 2007

Moscou 06: compétition internationale

28e Festival international du film de Moscou
2006

Paru dans la revue Séquences


La tradition et l’éphémère


Moscou, ville de beautés interdites et base des opérations d’Andreï Plakhov, critique russe siégeant actuellement à la présidence de la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI), s’enorgueillit d’un festival de cinéma (le MIFF) depuis l’époque austère de la perestroïka, alors que les films des cinématographies du Tiers-monde étaient à l’honneur. Si les vestiges du rideau de fer sont jetés aujourd’hui en pâture aux touristes avides de glauques souvenirs, il en va tout autre de la ligne éditoriale de l’événement. C’est que la poigne de Nikita Mikhalkov, l’enfant chéri de l’ex-URSS et frère d’Andreï Kontchalovski, assure à la manifestation des débordements plus ou moins heureux vers les cinématographies mieux nanties.


C’est peut-être pourquoi le jury de la Fipresci, dont je faisais partie, a décidé de couronner un film provenant d’une des contrées qui n’ont plus la cote au MIFF, les Philippines, en récompensant The Bet Collector (Kubrador) de Jeffrey Jeturian. Pas qu’il ne s’agisse du film le plus maîtrisé, le mieux joué ou le plus sexy de la compétition, : le septième film du cinéaste manillais, tourné pour quatre sous en Tagalog, utilise les commodités des petites caméras numériques pour filer Amelita, une vieille teneuse de paris dans un bidonville où ses concitoyens, accablés par la promiscuité et des conditions de vie misérables, s’en remettent à la chance pour déjouer la précarité de leur condition.


Hantée par le souvenir d’un militaire adolescent décédé dans de nébuleuses circonstances, Amelita verse dans la superstition des nombres et utilise son racket pour apaiser sa conscience. Malgré des performances en dents de scie de ses acteurs et l’abus de plans séquences inutiles et mal cadrés, The Bet Collector tranchait radicalement avec le manichéisme de supermarché des autres films de la compétition en proposant des personnages pour qui le spectateur arrive tranquillement à s’attacher à eux. On verrait très bien ce petit film humaniste au FFM de Serge Losique.


Force est de constater que la compétition du 28e MIFF, à l’image de sa programmation en général, envoie un message confus aux cinéphiles étrangers présents à l’événement. Inconsistante et fourre-tout, la sélection de la compétition mettait coude à coude l’excentrique et décousu Klimt de Raoul Ruiz, le machiste et démodé Combien tu m’aimes de Bertrand Blier, aux côtés de Relatives, un téléfilm statique d’Istvan Szabo, et d’une pléiade de films mineurs, sentimentaux et conventionnels, comme l’incontournable film d’époque japonais (The Samurai I Loved), un film noir (Ask the Dust) par un Robert Towne à l’imaginaire dégarni et aux réflexes poussiéreux à la direction, ainsi que d’autres manifestes sur l’ouverture face aux personnes atteintes de maladie mentale (Ice on Fire / La Fiamma Sul Ghiaccio de l’Italien Umberto Marino, imbuvable) et les sidéens (Who Never Lived du Polonais Andrzej Seweryn, de la propagande catho manufacturée pour Canal Vie). About Sara, sur le quotidien d’une célibataire quarantenaire à l’heure J de son horloge biologique, a permis au Suédois Karim Othman de repartir avec le grand prix Saint-Georges de la compétition malgré ses forts accents télévisuels et son message sur les revers du carriérisme à tout prix peu emballant.


Le jury principal, présidé par Andreï Zulawksi suite à la défection surprise de Michael Haneke, a par contre souligné par deux fois les (authentiques) mérites de Driving Lessons, une comédie anglaise bien sentie, avec une Julie Walters en grande forme dans le rôle d’une actrice excentrique liée d’amitié avec un jeune adolescent timide issu d’une famille ultra catholique. Tiré des propres expériences de Jeremy Brock, scénariste de Charlotte Gray et Mrs. Brown passé ici pour la première fois à la réalisation, Driving Lessons multiplie les répliques savoureuses autour d’une histoire de déchirure familiale d’un foyer pourtant aux prises avec une folie plutôt malheureuse.


Le meilleur était donc ailleurs à Moscou. Contrairement à Karlovy Vary, qui démarrait quelques jours plus tard, les résidus cannois s’agglutinent peu au MIFF – seuls Volver d’Almodovar, qui sortait deux jours plus tard dans les salles russes, Pour aller au paradis il faut d’abord mourir du Franco-Tajik Djamshed Usmonov et le chic choc Taxidermia du Hongrois Gyorgy Palfi étaient de la partie… avec le western de Tommy Lee Jones de l’an dernier ! La cuvée russe, impressionnante en nombre, était malgré tout ghettoïsée dans la programmation au lieu de se disséminer au travers les grandes sections généralistes.


Un titre, Playing the Victim (Izobprzhaya Zhertvu) de Kirill Serebrennikov, a toutefois retenu l’attention des membres de notre jury, mais la primeur avait été déjà cédée à Sotia un mois auparavant – c’est dire comment la capitale russe peine à redevenir le pôle d’attraction cinéma au sein de ses propres contrées.


© 2007 Charles-Stéphane Roy