jeudi 19 juillet 2007

Critique "Catherine Breillat: indécence et pureté"

Catherine Breillat: indécence et pureté
de Claire Clouzot
2006

Paru dans la revue Séquences


Avant d’être cinéaste, Catherine Breillat a signé une dizaine de romans, dont certains furent adaptés au cinéma – « Le soupiral » est ainsi devenu Une vraie jeune fille, et « Pornocratie », Anatomie de l’enfer. Honnie par certains, crainte par d’autres, Breillat est un personnage à part entière du cinéma français. Taxée tour à tour d’ultraféministe, d’érotomane, de provocatrice, de soixante-huitarde attardée et on ne sait quoi encore, souvent méprise parmi ses pairs, la cinéaste pare tous les coups, persiste et signe.


Pour souligner la sortie de son 10e film Anatomie de l’enfer, la critique et ex-déléguée de la Semaine de la critique à Cannes Claire Clouzot, petite-fille du grand Henri-Georges, s’est entretenue avec Breillat sur sa carrière, son « décalogue » et ses combats. L’ouvrage, paru en 2004, constituait alors le seul consacré à une auteure qui se dit « violemment puritaine » (Corps amoureux : entretiens avec Claire Vassé est sorti en octobre 2006 chez Denoel).


Qu’on apprécie ou non l’approche Breillat importe peu : la lecture de ces conversations brèves est délicieuse ; la prose, pleine d’esprit. Clouzot éclaircit avec justesse une œuvre qu’on avait rapidement enveloppé d’une aura de souffre et de scandale, si bien qu’en revisitant les premiers émois de la cinéaste sur la pellicule, on découvre l’entreprise réfléchie d’une battante pour qui l’affranchissement des tabous sexuels à l’écran n’est que le prolongement de l’examen de sa propre pudeur et de la réalisation de ses fantasmes au sein des interdits sociaux.


Elle qui voulait être actrice (comme sa sœur aînée Marie-Hélène), CB, comme l’appelle affectueusement Clouzot tout au long de l’ouvrage, aura brièvement frayé avec des icônes insolentes du cinéma des années 1970 comme Bertolucci – elle participe au Dernier tango à Paris – ou Pialat (qui désavouera sa plume dans le scénario de Police) alors que ses romans restent plus visibles que ses premiers films. Ce n’est qu’une question de temps avant que la patte Breillat ne laisse des traces plus profondes avec 36, Fillette et Sale comme un ange. Anatomie de l’enfer, À ma sœur ! et Anatomie de l’enfer marquent leur époque et confirment une auteure à part.


Avec une passion et un humour affirmés, la cinéaste se livre tout entière à Clouzot, dont le style résume et se fond sur la langue de son sujet, qui aura écrit tous ses rôles « d’hommes répugnants et sexuels de [ses] scénarii en pensant à Jean Yanne »… ce dernier refusant d’incarner le metteur en scène sadomasochiste de Romance. Un abécédaire commenté et une filmographie intégrale complètent cet ouvrage à l’outrage et la sophistication séduisantes.


Claire Clouzot, « Catherine Breillat: indécence et pureté », Éd. des Cahiers du Cinéma, coll. Auteurs, 2004, 187 p.


© 2007 Charles-Stéphane Roy