de Gidi Dar
2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
Kasher party
L’humour juif sauve The Guests du prêchi-prêcha interreligieux. Rejoint à Jérusalem, le cinéaste Gidi Dar nous a démontré sérieusement comment.
Le cinéma a souvent dépeint la communauté juive ultra-orthodoxe comme un clan isolé de la modernité soumis à une ferveur religieuse aveuglante. Pour initier un dialogue entre les adhérents Haredi et les Juifs séculaires, le cinéaste Gidi Dar a pu compter sur l’appui exceptionnel de Shuli Rand, l’Anthony Quinn israélien converti à la pratique hassidique après avoir connu un succès d’estime sur la planète avec Eddie King, un film d’art radical récompensé au Festival de Locarno en 1992.
Durant ses neufs années loin du cinéma, Rand s’est joint au groupe Harendi de Jérusalem se consacrer à l’étudie de la Torah. Comme les deux compères trouvaient dommage de ne plus pouvoir collaborer ensemble, ils décidèrent autant par défi que par amitié de faire un film en respectant les règles orthodoxes : pas de tournage le jour du sabbat, obligation d’utiliser sa femme dans la vie pour incarner sa femme à l’écran, consentement du rabbin sur le scénario… pas facile de conjurer les différences.
Le titre original en araméen (« Ushpizin ») renvoie aux « invités divins » entretenus par les croyants durant la fête du Souccot, à laquelle on prête des vertus de fertilité. Des huttes de fortune sont alors temporairement érigées pour commémorer la traversée du désert du peuple d’Israël à leur retour d’Égypte. Moshe Bellanga et sa femme Malli n’ont justement pas d’enfants et comptent recevoir des signaux favorables à leur requête s’ils font le culte du palmier, du saule, de la myrte et du citron.
Complètement fauché, l’homme crie au miracle après qu’un donateur lui octroie de manière purement circonstancielle l’argent nécessaire, au grand bonheur de sa femme. Mais comme tout ce qui monte redescend, deux évadés de prison se réfugient chez eux pour rappeler à Moshe son passé turbulent. Rapidement, les lascars abusent de la générosité de leurs hôtes, tandis que ceux-ci demeurent convaincus que cette rencontre providentielle, désagréable au demeurant, reste une épreuve divine à laquelle le couple ne devra pas faillir pour garder l’espoir d’une progéniture.
« Mon ami Rand m’avait raconté cette histoire d’un type qui avait été embêté par deux voyous après avoir accidentellement occupé sa hutte durant la Succot, explique Dar, rejoint à Jérusalem. Lui aussi ne nommait Moshe et demeurait convaincu que ce malheur punissait son étourderie. Nous étions amusés par cette situation, et nous avons décidé d’en faire un film ».
Dar a dû jouer de compromis et de tact pour convaincre les autorités religieuses de le laisser filmer les lieux saints et les fidèles d’une manière respectueuse. Pour cela, le cinéaste a eu à composer d’une part avec une équipe technique laïque et, face à la caméra, avec une distribution haredi, pour la plupart d’anciens acteurs convertis comme Shuli Rand. « Je considère que les comédiens rendent parfaitement la vérité de leurs personnages dans le film simplement parce qu’ils comprennent l’implication psychologique d’avoir à articuler sa vie autour d’une multitude de règles, estime le cinéaste. La tendresse et l’exubérance des rapports entre Moshe et son épouse relèvent en partie de leur propre expérience conjugale, et la contrainte d’avoir à utiliser sa femme dans ce rôle s’est avérée bénéfique après coup. »
Le succès de The Guests en Israël n’allait pas non plus de soi: le cinéaste n’a pu présenter le film les dimanches, qui compte habituellement pour 40% du box-office hebdomadaire, tandis que plusieurs spectateurs orthodoxes n’avaient jamais été au cinéma de leur vie. Malgré tout, le film devint l’un des plus grand succès au pays et s’est taillé une place de choix dans les festivals internationaux. La morale de l’histoire ? « Un dialogue basé sur la connaissance est possible entre des cultures très isolées l’une de l’autre, souhaite Dar. Et le cinéma peut participer à cette harmonie. »
© 2007 Charles-Stéphane Roy