jeudi 19 juillet 2007

Critique "The New World"

The New World
de Terrence Malick
2006

Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LES ÉVASIONS BARBARES

Les carabines et l’ésotérisme n’ont jamais fait bon ménage. Mais qu’importe : The New World propose un cinéma d’extérieur d’une grâce inouïe.


Chaque film de Terrence Malick constitue un exploit en soi: le cinéaste s’est fait si rare depuis son fabuleux départ en 1973 (Badlands) qu’on ne peut qu’accueillir avec empressement les rares œuvres qu’il consent à nous livrer – trois en tout depuis les 30 dernières années. Il faut toutefois avouer que l’annonce de son quatrième projet, l’adaptation de la légende de Pocahontas, avait suscité quelque chose plus proche de la l’incrédulité que du réel enthousiasme. Œuvre de commande, Disney en prises de vue réel ou grande boutade à la figure des détracteurs du réalisateur de Days of Heaven ? Si notre ermite préféré depuis Kubrick n’affiche plus la forme de ses débuts, il n’en reste pas moins que Malick sait toujours faire éclore du cinéma des terres les plus arides.


The New World fut conclu en moins de deux ans, soit près de 10 fois moins de temps qu’il lui en avait fallu pour fermer les livres de Thin Red Line, son dernier essai à forte résonance philosophique. Il ne faut pas voir là non plus l’ombre d’une démarche bâclée misant paresseusement sur la familiarité qu’entretient le grand public avec cette romance du temps des premiers colons, bien au contraire : voilà un film estampillé Malick dans toutes ses coutures, qu’aucun autre animal hollywoodien n’aurait pu en reproduire la griffe.


Le cinéaste a tout d’abord compris que la découverte des grands espaces, faut que ça respire ! Lorsque les Britanniques ont planté pour la première fois l’Union Jack dans ce qui allait devenir l’Amérique, ils ont dû rapidement se plier au rythme de la nature et du mode de vie des premiers habitants du nouveau continent. C’est pourquoi le cinéaste ne s’est pas gêné pour filmer ce lent et exotique apprivoisement des lieux sous le mode de la rêverie, faisant ainsi écho aux incertitudes de John Smith, l’impétueux leader des représentants de Sa Majesté tombé amoureux de la belle Pocahontas, fille du chef du village.


Cette rencontre donne lieu à un métissage inusité entre Rouges et Blancs évoquant un improbable Woodstock avant l’heure : chacun fraternise, on se maquille et on range les armes à feu, Pocahontas apprend l’anglais en un temps record… et tout le monde fait la danse de la pluie autour d’un grand feu de joie. Évidemment, la soif de territoire des colons n’allait pas s’éteindre pour autant, et on revient vite au plan A : tuer et conquérir. Pocahontas est enlevée puis occidentalisée avant que Smith ne puisse la retrouver, mais trop tard, la belle est déjà passée aux mains d’un noble et a aussitôt adopté les vertus de l’Ancien monde.


Bordé par l'exceptionnelle partition de Howard Shore, The New World doit être pris avant tout comme un objet de désir, une lubie onirique née d’une forte sensibilité envers la découverte de nouveaux horizons, et non pas de la brutalité des moyens employés à ensanglanter une terre vierge. Là n’est pas la force de Malick, et encore moins dans ses chimères initiatiques ; les seuls élans de caméra suffisent à rendre le film hypnotique et sensuel à souhait. Ce n’est pas tout, mais c’est beaucoup à la fois.


© 2007 Charles-Stéphane Roy