de Neil Jordan
2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
L’HABIT NE FAIT PAS L’ÉMOI
Avec Breakfast on Pluto, Cillian Murphy vient de gagner plusieurs Air Miles pour les galas californiens, même si le film ne contient pas tous les élément nutritifs essentiels pour passer à travers une journée mouvementée.
Sale temps pour la Droite : après une longue journée de travail, les conservateurs aiment bien se détendre comme tout le monde en allant au cinéma. Mais depuis quelques mois, les marquises affichent un nombre record de films « à caractères gay » : Brokeback Mountain, TransAmerica, Rent, Capote… Comment Hollywood a bien pu perdre ses valeurs (sûres) et faire exploser la famille nucléaire ? Dans l’Opposition, ça hausse les épaules et on passe à autre chose : un film abouti n’a évidemment pas de sexe.
Dans le cas de Breakfast on Pluto, il n’y a ni sexe, ni aboutissement, et c’est bien dommage. Presque 15 ans après The Crying Game, considéré comme un classique toutes catégories confondues, on attendait de ce Neil Jordan arc-en-ciel une œuvre aussi colorée que son prédécesseur, mais il est manifeste que les nombreux atouts du cinéaste n’ont pas produit de combinaison gagnante. Jordan a de nouveau sollicité l’écrivain Pat McCabe (Butcher Boy) pour scénariser son dernier roman, ouvrage baroque et dédalesque, mais semble avoir oublié que tout récit, qu’il soit homérique ou dickensien, doit porter autant d’attention aux motivations des personnages qu’à leurs péripéties.
Dès l’âge de 10 ans, Patrick Braden adopte son alter-ego Kitten, figure efféminée dont la renommée est bâtie sur l’innocence et la provocation. Kitten (Cillian Murphy, qu’on adopte immédiatement) aime la démesure et rêve de bonheur et d’amour à la fois éphémère et absolu, c’est donc sans surprise qu’il nous raconte sa vie à la façon d’un roman d’aventures. Les premiers chapitres relatent son adoption précoce aux mains d’un révérend puis ses débuts comme travesti vedette d’un cabaret. S’enchaîneront sans crier gare un chapelet de mésaventures qui mettent Kitten sur la route d’un groupe rockabilly, une bande de motards, des policiers peu conciliants et des membres de l’IRA. Habitué à l’abandon dès le berceau et dévisagé depuis l’école, Braden ne fait pas qu’enfiler sa perruque et ses frous-frous les plus saillants pour trouver sa place dans le monde, il travestit tout ce qu’il touche afin de trouver un peu de réconfort dans un environnement hostile, celui de l’Irlande des années 1965-75.
Au terme de cette chevauchée à travers des rencontres toujours plus abracadabrantes les unes que les autres, il est clair que Breakfast on Pluto n’a pas la fantaisie du Tommy de Russell, l’étrangeté du Man Who Fell to Earth de Roeg, le kitsch du Phantom of Paradise par de Palma ou la fureur de Hedwig & the Angry Inch de Cameron Mitchell. Jordan aura beau s’adjoindre les talents de Liam Neeson, Stephen Rea, Brendan Gleeson, Gavin Friday et Bryan Ferry pour rendre l’affaire plus digeste, n’empêche qu’un peu de retenue et de concision au scénario comme au montage – 36 chapitres, c’est du stock – auraient rendu le périple moins éprouvant. À prendre autant de détours, mieux vaut voyager léger.
© 2007 Charles-Stéphane Roy