de Billy Crystal
2006
Paru dans la revue Séquences
Billy Crystal et « 700 Sundays » : ceci n’est pas du stand-up
L’un des animateurs de la Soirée des Oscars les plus populaires de l’histoire du gala, Billy Crystal, a tourné la page sur cette faste période de sa carrière pour mieux reprendre le micro et partir aux quatre coins des États-Unis avec son spectacle « 700 Sundays », un monologue de 2h30 durant lequel Crystal raconte sa vie et les extraordinaires rencontres qui ont influencées sa carrière. On apprend entre rire et émotion comment ce Juif de Long Island, petit de taille et bourré de talent, s’est épris de variétés sans renier aucune forme de divertissement : claquettes, chanson, danse, stand-up, slapstick… tous les moyens sont valables pour raconter son histoire.
Son style pluridisciplinaire s’apparente à celui de sa génération, celle de Robin Williams, Woopi Goldberg, John Belushi et même de l’infâme Andy Kaufman, qui étaient eux-mêmes fans des champions du Music-hall qui les avaient précédés : Georges Burns, Bob Hope, Sammy Davis Jr. et même Bill Cosby à ses débuts. Mais contrairement à ses contemporains, Crystal ne se replie pas sur les bases dépouillées du stand-up – qui, dans sa plus simple expression, utilise le micro comme unique accessoire scénique – pour mieux privilégier un ménage des genres et des tons. J’ai pu assister à une représentation de « 700 Sundays » à Beverly Hills en janvier dernier, et je peux témoigner du caractère innovateur de la production, condensé de ressorts cinématographiques, de matériel intime, de mime, de confession publique, d’autobiographie et d’une tonne de gags.
Mis en scène par Des McAnuff (« The Who’s Tommy » à Broadway), le spectacle adopte une construction épisodique faisant la part belle aux digressions, aux précisions et à certains moments d’une grande tendresse. Telles des mémoires vivantes ou un film domestique narré par un bonimenteur, les deux actes formant « 700 Sundays » s’apparentent à une forme populaire d’art performatif, ni tout à fait spoken word, ni exactement expérimental. Crystal a pour seul décor une scène dépouillée où est reproduite à moindre échelle la maison familiale où il grandit en banlieue de New York devant laquelle il installa quelques chaises de jardin. Trois grandes fenêtres ornent la structure, soit autant d’écrans où sont projetés des stock shots de l’époque à laquelle Jack Crystal, son père, l’amenait les dimanches (seul jour de la semaine durant lequel il ne vivotait pas entre ses trois boulots) au Commodore Record Store, lieu clé du bouillonnement jazz des années 1940-50. L’humoriste raconte ainsi comment Billie Holiday l’amena pour la 1ère fois au cinéma, son amour du baseball et l’obsession qu’il développa pour la sexualité précoce… avec un bagel. Le Juif format réduit utilise les artifices documentaires – film de famille, musique d’ambiance, coupures de journaux, photos et documents d’archives pour narrer à gorge déployée ses rares souvenirs sous le régime Eisenhower avec son père, avec qui il estime avoir développé une amitié digne de ce nom durant les 700 dimanches précédant sa mort prématurée lorsque Billy n’avait que 15 ans.
Lorsqu’il imite sa tante aigrie à l’idée d’aller au mariage de sa cousine lesbienne, Crystal utilise en arrière-plan des photos de la dame – au bout de cinq minutes, la voix et l’image deviennent indissociables. Évoquant le film de famille perdu du barbecue durant lequel tous les invités étaient sortis de leurs gonds, Crystal interprète lui-même ce film en recréant la dynamique des films 8mm d’antan (absence de son, effet stroboscopique, action accélérée) à l’aide d’un follow spot et d’un cache intermittent : l’effet comique n’en fut que décuplé.
Mais l’efficacité de la production tient tout entière dans les clivages de ton et la rythmique des numéros. Rares sont les stand-up qui accordent autant de place à l’histoire, au simple plaisir de raconter sans avoir constamment recours à l’humour ou la dérision pour gagner les faveurs du public. Du haut de ses 40 ans de métier, Crystal parvient à émouvoir sans forcer les larmes si bien qu’on ne sait trop quand arrivera la prochaine blague.
Le cinéma n’est pas une forme souveraine limitée à un certain type de rapport avec le spectateur, il sera toujours un moyen pour dénoter en tout ou en partie une réalité ou une émotion. Ayant été habitués à consommer des films pour comprendre le monde, il est normal que nous ayons adopté ses techniques pour nous raconter à notre tour, jusqu’à narrer nos propres souvenirs. « 700 Sundays » s’approprie ces procédés sans complexe et, sans rien révolutionner, constitue le germe d’une nouvelle tendance dans les variétés : le documentaire vivant, humoristique ou non.
Depuis 2004, le spectacle a engendré des gains de 14 million $, assez pour convaincre Crystal d’emmener « 700 Sundays » sur la route. À son tour, Martin Short prépare un concept autobiographique similaire avec If I'd Saved, I Wouldn't Be Here: Martin Short on Broadway. Étant donné l’état lamentable de l’humour québécois, faudrait peut-être songer à mettre le clan Rozon dans le coup.
© 2007 Charles-Stéphane Roy