mercredi 18 juillet 2007

Cabina Obscura: entrevue avec John

Cabina Obscura
Entrevue avec John
2006
Paru dans la revue Séquences


Quand le projectionniste s’en mêle


Le cinéma n’est pas seulement qu’une relation platonique entre des bobines et un écran. Avec des chutes de pellicules et l’accès à une salle, Jean-François Blouin s’est créé un alter ego, John, et monté « Cabina Obscura », projet entre recyclage et performance. Projectionniste au Cinéma ONF, John remet en question la relation entre l’immuabilité d’une œuvre et l’intervention technique dans la création. Des films sont projetés hors-foyer. Des bandes sonores se surimposent : la salle de l’ONF semble possédée d’une vie propre. Après avoir présenté une seconde version de « Cabina Obscura » lors de Montréal en lumière, John s’est entretenu avec Séquences sur sa démarche.


Comment la première version du projet a-t-elle été conçue?

In Obscura. Un peu à l’ombre de l’ONF. Je restais la nuit après les projections publiques pour m’amuser de diverses tentatives… L’idée première était d’ouvrir davantage les brèches d’une projection, ces moments hors focus de pellicule brisée, de son déraillé de son cadre. Bref, de dompter la machine via ses failles, de déployer ces hiatus qui, lors de projection d’un film, laissent transparaître la présence du projectionniste vers l’écran. Ensuite est venu le travail fascinant avec les images et autres photogrammes. Dans une entrevue sur film, Jean Genet disait que la littérature devait se sortir de son horizon linéaire pour y ajouter du volume. Cette idée me reste encore, même et surtout avec le cinéma comme médium.


Puis, vient la touche finale – l’esquisse qui donnera une certaine pulsion à la performance se trace presque d’elle-même. Reste plus qu’à épurer un peu les possibles pour ne pas s’y retrouver prisonnier lors de la performance.


Quelles sont les modifications qui ont été apportées en cours de route?

Presque tout… l’idée de performance sous-entend le changement. On m’avait offert de refaire, cette année pour Montréal en Lumière, une performance avec les mêmes matériaux que l’année précédente. Mais c’était impossible pour moi. J’ai donc recréé un deuxième opus… Ce n’est peut-être pas logique, mais c’est cohérent pour moi.


Où et quand as-tu 'performé' Cabina Obscura depuis sa création?

Depuis deux ans, principalement au Cinéma ONF durant les Journées de la Culture et Montréal en Lumière avec du matériel différent. J’ai aussi été invité au Festival de Jazz de Guelph à faire une collaboration avec Miriodor, au Festival de Musiques Émergeantes de Rouyn pour une résidence et une performance avec Martin Tétreault puis à nouveau à Rouyn pour le Festival International de Webdesign.


Qui sont tes collaborateurs, anciens et présents?

Les premiers tâtonnements ont principalement été ébauchés à temps perdu avec l’artiste graphique Anne Tardif et le musicien François Boulé. Il y a eu aussi le chef projectionniste Albert Roberge, qui m’aide encore à mettre en place le puzzle technique tout en manipulant les pellicules avec, tout récemment, Julie DeLorimier. Nicolas Bilodeau de VIZZ a permis de capter et de travailler les images avec précision. Puis Sylvie Chartrand, qui insuffla son corps sur scène en plus d’être une instigatrice d’idées. Se sont ajoutés aux récentes performances Bernard Falaise à la guitare et Rémi Leclerc aux percussions et à l’électronique, qui étoffèrent avec brio l’ambiance sonore de « Cabina Obscura ». Il ne faut pas oublier Martine Chartrand qui offrit non seulement ses animations sur verres, mais aussi une présence importante. Ma résidence et ma performance avec Martin Tétreault fut un cadeau inespéré et inattendu pour le développement de mon travail. La contribution de Jenny Thibault fut aussi décisive pour mes premiers pas.


Quel est le matériel film et vidéo à partir duquel tu travailles?

Une même image sera différente si elle se voit via diverses technologies de projection. Je travaille donc en mm, 16mm, même parfois 8mm et à l’aide de différents projecteurs vidéo. Pour ces derniers, j’investis les possibilités de la VHS à la Betacam numérique. Je vais aussi travailler, pour la prochaine œuvre, avec une lanterne magique... Il y a tellement d’images qui ont déjà été produites qu’il serait ridicule de ne pas les travailler, souvent avec respect, encore un peu. L’histoire du cinéma avait une tendance à se donner la technique comme horizon; de plus en plus on y tisse une histoire de l’image au cinéma. Pour ce qui est de la pellicule, je la récupère autant que possible. Les droits les enchaînant posent souvent problèmes.


Godard disait dans ses Histoire(s) du cinéma qu’un artiste n’avait pas de droits, mais des devoirs. Beaucoup de gens me font des dons, dont récemment un CLSC : c’est plutôt inédit d’assister, dans une même soirée, sur écran de cinéma, en 16mm, à quatre accouchement non-stop! Je tourne aussi beaucoup d’images vidéo 16mm et photographique 35mm. Je prends un plaisir peut-être coupable à filmer en recadrant des séquences de films déjà existant projetées sur l’écran… pour les réintroduire à nouveau en projection dans leurs nouvelles formes. Mais l’important, malgré cette arborescence, c’est que tout doit devenir, après beaucoup de travail, un dialogue sur écran.


Est-ce que d'autres performances du genre t'ont inspiré?

J’ai un souvenir presque physique des soirées 8mm chez mes parents. Il y avait le parfum quasi de renfermé et de styromousse du ‘’case’’ du projecteur, le son-pétarade du projecteur tournant à 24 ou à 16 images seconde et le jeu entre ces deux vitesses, puis la lumière pas tout à fait blanche de la pellicule n’arrivant pas encore aux images ou testant leur fin. Il y avait aussi la présence à côté de celui qui projetait, lorsque la notion de cabine de projection n’existait pas encore pour moi. Et ce ‘’Qui’’ projetant ne se limitait pas à ce rôle, mais il était aussi conteur, blagueur, celui qui se remémorait les événements projetés.


J’avais oublié tout ceci lorsque les films de Norman McLaren, dont Synchromie, et les événements comme Elektra et Mutek ont attiré mon attention. Ma découverte d’une performance-projection de Pierre Hébert, avec les musiciens René Lussier et Robert M. Lepage ainsi qu’une danseuse, fut importante et me permis d’entrevoir une ouverture pour ce qui deviendra le projet « Cabina Obscura ».


Quel sera le rôle du projectionniste avec la HD?

Malgré la présence ténue du HD en projection, les coûts élevés des tournages HD, et sachant que la technologie et les algorithmes ne sont pas tout à fait au point, je crois que le HD (sous sa forme virtuelle et non pas sur cassette) est à long terme une autre menace pour cet animal en voie d’extinction qu’est le projectionniste traditionnel.


Cette question sous-entend la mutation du projectionniste et de ses tâches par le biais de la technologie en mouvement. Pour moi, cette lanterne est primordiale dans l’Histoire de la projection puisque cette technologie sous allumette, en projetant des images peintes sur verre, était encore un outil pour le conteur qu’était le projectionniste. Celui-ce possédait une voix, une présence qui permettait de donner vie aux images statiques encore; et vint le cinéma qui posséda en lui-même cette capacité de mouvement, cette capacité de s’auto-conter. Par contre, il faut se rappeler que le projectionniste était, pour la plupart du temps, celui qui avait tourné le film, comme les frères Lumières et Méliès.


Puis les projectionnistes itinérants de l’ONF ont voyagé de villes en villages pour présenter les films. Ils n’avaient sans doute plus de voix mais toujours cette mobilité, jusqu’au jour où, dans une révolution de la mobilité dans la diffusion cinématographique, ils furent enfermés dans une cabine de projection. Non seulement ils n’eurent plus ni voix, ni mobilité, mais le contact avec le public fut aussi coupé par un mur. Le projectionniste devenait, par la transformation du cinéma et de sa technique, un mécanisme de la projection. Un outil. Il y avait donc renversement de rôle par rapport à ses débuts. Qui plus est, les salles commerciales ont fait perdre le rôle d’accompagnateur de cinéma que sont les projectionnistes; ils ne servent plus en ces lieux qu’à préparer les films. Ce ne sont plus eux qui appuient sur play dans des cabines de projections maintenant vides. Ces endroits désormais semblent davantage à un Scopitone géant (juke box pour film 16mm dans les années 60) qu’à des cinémas.


Par contre, les technologies continuent de se transformer, de nous transformer. Les projecteurs deviennent à la fois plus petits, plus performant, polyvalent et abordable. On peut, tout comme les projectionnistes itinérants de jadis, partir avec un projecteur sous le bras. Ces technologies redonnent mobilité, présence et voix aux projectionnistes, qui peuvent donc redevenir conteurs.


Quels sont les 'meilleurs' projectionnistes à Mtl, les plus expérimentés ou ceux qui ont vu le plus de changements? Guy Fournier (Cinémathèque, Goethe) est un exemple pour le moins éloquent, il a été projectionniste dans la plupart des salles de Montréal et ce, depuis des siècles.


Quels sont tes autres projets?

Il y en a deux qui viendront s’enlacer sans doute sous peu. Un film et une nouvelle performance cinématographique qui seront une histoire extensive de la projection… de Platon au multimédia.


© 2007 Charles-Stéphane Roy