jeudi 19 juillet 2007

Rétrospective Bruno Monsaingeon 06

Rétrospective Bruno Monsaingeon
Cinémathèque québécoise
2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal


LE VIOLONISTE QUI FILMAIT LES VIRTUOSES

La Cinémathèque québécoise donne l’écran et le micro à Bruno Monsaingeon, rare musicien à avoir développé la vue musicale. 13 films précieux pour s’éduquer l’oreille et rencontrer les plus grands.


Le cinéma a toujours mieux traité la musique lorsque celle-ci se soumettait à son rôle de support dramatique que lorsqu’elle devenait l’objet même des films. Que de grincements de dents et de sourcils au garde-à-vous à la vue de représentations bâclées d’interprètes du dimanche attaquant leur précieux instrument avec le doigté d’un maçon – Pierre Richard et Emmanuelle Béart au violon, Depardieu père à la viole de gambe et tous ces pianistes américains dont le maniement du clavier demeure hors-champ… Quels massacres ! Heureusement, des musiciens accomplis ont voulu communiquer leur art en saisissant la caméra pour raconter leurs plus illustres pairs, ne serait-ce que pour corriger ce gênant laxisme généralisé envers le 4e Art.


Le Français Bruno Monsaingeon ne croule pas sous les distinctions pour rien : violoniste passionné d’images, il a donné à la musique ses lettres de noblesse devant la caméra. Partout on a loué son sens du rythme qu’il a su développer par un calibrage anecdote/exécution précis et logique comme une partition. Profanes comme mélomanes sont restés pantois devant la somme d’archives que l’individu a accumulé au fil des ans, sa proximité avec les plus grands interprètes de notre époque – Sviatoslav Richter, David Oïstrakh, Barbara Hendricks, Marie-Claire Alain, Gilles Apap, Julie Varady, Dietrich Fischer-Dieskau – et peut-être surtout sa compréhension historique de l’interprétation solo et de la direction d’orchestre.


Avec la même virtuosité dont témoignent ses collègues et amis du circuit professionnel, Monsaingeon sait pertinemment bien qu’une étoile musicale brille parce qu’elle a su cultiver le rare talent de faire jaillir les expressions physique, intellectuelle, émotive, sociale et parfois même politique d’une même œuvre. Ses documentaires foisonnent de ces fulgurances qui semblent animer soudainement les prodiges et mettent rapidement la table pour que le spectateur puisse saisir quelques nuances d’une performance à l’autre. Bénéficiant d’un luxueux temps de gestation (sept ans pour son dernier projet), Monsaingeon était d’autant plus destiné à aborder la musique avec des moyens et une intuition inédits au cinéma.


La Cinémathèque a invité le cinéaste à tendre le relais aux mélomanes québécois lors de 11 programmes consacrés à la captation d’œuvres classiques et au portrait des plus illustres ambassadeurs de la sphère classique. Aux deux extrémités du spectre, Monsaingeon a fait la part belle aux éminences les plus connues du 20e siècle : Yehudi Menuhin et Glenn Gould. On ne pouvait imaginer figures plus opposées : Menuhin l’humaniste polyglotte aux mille concerts, Gould l’ermite explorateur ne jurant que par le studio d’enregistrement. Un point commun les a cependant unis : chacun fut un pionnier à leur manière (diplomatique pour le premier, technologique chez le second) pour décloisonner la pratique de leur instrument, utilisant la radio puis la télévision comme jamais auparavant afin de transmettre leur savoir-faire et leur passion.


Amis et confidents de longue date du cinéaste, le violoniste et le pianiste font l’objet de deux documentaires phares, Le violon du siècle (1995) et Au-delà du temps, présenté ici en avant-première mondiale. Saisissez l’occasion.


© 2007 Charles-Stéphane Roy