Atlas du cinéma
2007
Paru dans les Cahiers du Cinéma
Nouvelles figures comptables
Il était difficile, voire impossible, de répéter l’exceptionnelle tenue du cinéma québécois de 2005 l’année suivante. Du taux record de 18,2 %, la part de marché de la production provinciale a fondu à 11,7 % par la présence d’une seule locomotive et de quelques wagons dégarnis.
La relative popularité des films québécois des dernières années a engendré une escalade des budgets culminant l’an dernier sur un mécontentement à propos des largesses du programme de soutien gouvernemental. Si 2005 fut l’année d’une saga entre les festivals montréalais, on retiendra de 2006 la crise de financement qui divisa producteurs-vedettes et réalisateurs soucieux d’une attribution plus démocratique des soutiens de l’État. Un fonds discrétionnaire provincial de 10 M$ vint calmer les esprits et assurer in extremis au cinéma québécois une présence significative sur les écrans locaux.
Les films métissés tinrent le haut du pavé en 2006, Bon Cop Bad Cop en tête. Modèle réduit des duos antagonistes américains, le film bilingue de Érik Canuel, tirant profit des clichés entretenus entre Québécois et Anglo-Canadiens, a enregistré plus de 12 M$ au terme de sa sortie pancanadienne, battant un record national vieux de 1982.
Bon Cop Bad Cop constitue l’aboutissement de la récente politique de performance mise sur pied par l’investisseur culturel Téléfilm Canada, dont la mesure maîtresse des ‘enveloppes à la performance’ profite principalement à une demi-douzaine de sociétés québécoises, capables de démarrer des projets refusés dans les volets réguliers de Téléfilm grâce à ces boni cumulés. Ce fut le cas de Roméo et Juliette de Yves Desgagnés, financé par l’incontournable Denise Robert et devenu un demi-succès de distribution à défaut de convaincre les fans de Jeanne Moreau, perdue dans un décor publicisé pour la génération MP3.
Car 2006 signala aussi le retour des castings internationaux sur les affiches québécoises. Coproduit avec la Belgique, Congorama de Philippe Falardeau s’est démarqué de la production annuelle par son ton ludique et ses savoureuses performances d’acteurs – Olivier Gourmet en tête – malgré un récit d’une trébuchante complexité. De son côté, l’acteur français Michel Muller n’a pu dégager Guide de la petite vengeance des excès d’une production formatée pour reproduire le succès de La grande séduction, malgré la réunion des principaux artisans de la réussite multimillionnaire de 2003 et un budget outrageusement confortable.
S’abreuvant aux frères Coen, Sur la trace d'Igor Rizzi, le premier film crâne et ultra-référencé du cinéaste d’origine française Noël Mitrani, força l’admiration parmi la critique. Repéré par Venise et Toronto, ce film autoproduit avec une poignée de redevances placées sur un compte en épargne rendit hommage à l’hiver québécois avec un humour décalé tout en permettant à Laurent Lucas, qui partage son loyer entre Montréal et Paris, de consolider sa présence dans le nouveau cinéma indépendant québécois.
© 2007 Charles-Stéphane Roy