2006
Paru dans la revue Séquences
Quelques oasis parmi plusieurs mirages
La Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI) était à nouveau conviée dans le désert de Palm Springs (Californie) pour constituer un jury. J’étais du nombre, et notre tâche visait à décerner des prix pour le meilleur film de la section Award Buzz, volet destiné à la cinquantaine de soumissions nationales concourant pour l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère.
Notre cahier de charge constituait ainsi le plus imposant de tous les événements auquel participe la FIPRESCI, avec une moyenne de trente-cinq films à visionner. De plus, l’organisation nous invitait à décerner des prix d’interprétation à l’acteur et l’actrice s’étant le plus distingués. Sous un soleil de plomb (35 degrés l’après-midi), une chevauchée de longue haleine commençait.
Pour le profane (et ils sont nombreux), Palm Springs est le point de convergence de plusieurs municipalités d’Inland Empire, une région désertique dans laquelle résident des retraités fortunés, sans doute attirés par les 120 terrains de golf établis dans un rayon de 20 milles carrés. Le festival en est à sa 17e édition et, après de confidentiels débuts, semble avoir trouvé son créneau, croisement entre titres porteurs en fin de route festivalière et primeurs issues du catalogue compilé par l’Academy of Motion Picture Arts & Science (AMPAS), pour la plupart sans distributeurs nord-américains.
D’après Darryl MacDonald, directeur du Festival de Palm Springs (PSIFF) et ancien de Seattle et Vancouver, le PSIFF serait devenu l’événement le plus rentable aux guichets parmi ses semblables états-uniens, loin devant Sundance et Tribeca. Le secret de cet achalandage? Le troisième âge. À première vue, le public qui remplit les 13 salles réquisitionnées par la manifestation ressemble à celui de notre FFM, soit une frange cinéphile pour qui la provenance du pays d’un film importe plus que le nom de son réalisateur. La nature même de la sélection du PSIFF reste ouverte sur le monde et certaines signatures, que les programmateurs soulignent dans le programme lorsque le cinéaste a déjà soumis un film au festival lors d’une édition précédente, affichent un classicisme de bon ton rarement porté sur la surprise et l’audace stylistique.
Après être passé au travers des soumissions nationales aux Oscars 2006, il appert qu’aucune règle générale ne vient ponctuer la sélection d’un pays à l’autre. Si au Canada, le box-office a élu d’emblée C.R.A.Z.Y. malgré ses évidentes qualités, on s’étonne du choix taïwanais, le sulfureux La saveur de la pastèque (The Wayward Cloud) de Tsai Ming-liang, ou encore du candidat colombien La sombra del caminante (The Wandering Shadow), réalisé âprement pour moins de 100 000$? On retrouve les incontournables offrandes est-européennes, des drames sur la Seconde guerre mondiale (Fateless) ou des histoires d’orphelins bien larmoyantes (Mother of Mine, Zozo de Josef Fares), quelques comédies nationales mais aussi des essais stylistiques qui avaient le mérite de briser certaines conventions, comme le pulpfictionesque A Wonderful Night in Split du Croatien Arsen Anton Ostojic (avec le rapper américain Coolio!), Play d’Alicia Scherson, sorte d’Amélie Poulain chilien, Totally Personal du Bosniaque Nedzad Begovic, durant lequel le cineaste met sa vie en scène et sollicite directement le spectateur en recommençant par trois fois son film, et surtout In the Darkness of Night du Portuguais João Canijo.
À la manière d’une tragédie grecque, la caméra de ce film suit les constants aller-retours de la famille d’un gérant endetté d’un club d’escorte lors d’une soirée mouvementée durant laquelle le père vend sa fille à la mafia russe en lui faisant croire qu’elle doit les suivre pour espérer chanter au concours Eurovision. Tragédie grecque moderne respectant unités de lieu, de temps et d’action, In the Darkness of Night accumule les performances saisissantes et les effets hyperstylisés avec momentum et tension.
Notre jury a remis le Prix FIPRESCI à Buffalo Boy, une co-production France/Belgique/Vietnam naturaliste entre western et eastern. Ce drame initiatique de Minh Nguyen-Vo se déroule entre terre et mer autour de gardiens de troupeaux de buffles et de rites initiatiques entre un aîné et sa progéniture. Les superbes images d’Yves Cape (Yellowknife) ont contribué à insuffler un élan épique à cette œuvre de survie et de courage. Il allait aussi de soi que le prix d’interprétation masculine revenait d’emblée au magistral Ion Fiscuteanu, le Michel Simon agonisant de l’étonnant The Death of Mr. Lazarescu, film roumain récompensé maintes fois de par le monde.
Des délibérations plus musclées ont été nécessaires à la sélection de la performance féminine, et c’est d’un consensus poli que Meltem Cumbul s’est démarquée de ses pairs dans le chaleureux Lovelorn du Turc Yavuz Turgul. Vivifiante et pleine de ressources, son personnage de chanteuse de cabaret monoparentale éblouissait l’écran à chacune de ses présences. Alors que l’AMPAS cherchera le mois prochain à récompenser une œuvre qui pourrait plaire au grand public américain, la FIPRESCI a pris le parti des stylistiques abouties, au risque d’être commercialement rebutantes pour les distributeurs.
© 2007 Charles-Stéphane Roy