de Michael Winterbottom et Mat Whitecross
2006
Paru dans l’hebdo ICI Montréal
LA PRISON EN PROCÈS
En dramatisant de vrais témoignages, The Road to Guantanamo embrouille la fiction et la réalité. Déroutant.
Ça aurait pu s’appeler « Voyage au bout de l’enfer ». Guantanamo Bay, le goulag américain où sont détenus les ennemis de la démocratie avec un grand D ; on sait quand on y entre, on ignore si on va en sortir. Ce pénitencier plus ou moins secret alimente un nombre incalculable d’histoires sordides et d’abus de toutes sortes, surtout depuis l’Affaire des « Tripton Three », ces trois Musulmans de citoyenneté britannique incarcérés puis remis en liberté faute de preuves. Le cinéaste anglais Michael Winterbottom, autant porté sur la porno d’auteur (9 Songs) que le drame politique (Welcome to Sarajevo), s’est penché sur ce cas d’exception pour rendre justice aux rares survivants de ce purgatoire.
Alternant témoignages et reconstitutions, The Road to Guantanamo illustre la tragédie de ces trois Britanniques d’origine pakistanaise qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Asif se rend en 2001 au Pakistan avec ses potes pour s’unir à sa promise. Les quatre jeunes hommes profitent de leur séjour au Moyen-Orient pour aller soigner les Afghans attaqués par les Talibans. Sur la route de Kaboul, la bande se fait capturer par l’Alliance du Nord et sont confondus pour des alliés de Ben Laden par les Marines américaines. En moins de deux, ils se font déporter à Guantanamo, où ils subissent quotidiennement la torture et les interrogations musclées. Ils y resteront trois ans avant d’être libérés sans qu’aucune accusation ne soit portée contre eux.
The Road to Guantanamo est étonnamment plus limpide dans son propos que sa démonstration. Les témoignages appuient une mise en scène hyperréaliste, si bien qu’on en vient à questionner l’authentique et croire à l’artificiel. Impossible de ne pas penser au Punishment Park de Peter Watkins, autre simulation britannique sur les abus de pouvoir américains en temps de guerre. La récente promesse de Bush fils à fermer ce lieu défiant la Convention de Genève devrait bénéficier à court terme à la carrière de ce curieux film déchiré entre la compassion et le spectacle.
© 2007 Charles-Stéphane Roy