vendredi 20 juillet 2007

Critique "Lady Chatterley"

Lady Chatterley
de
Pascale Ferran
2007

Paru dans la revue Séquences


Le sexe est la vertu de l’amour


Il existe peu de récits aussi passe-partout que celui de Lady Chatterley. Cette histoire de passion interdite entre une bourgeoise mal mariée et le garde-chasse de son domaine peut emprunter d’innombrables tangentes, plus ou moins heureuses : le stupre de l’affaire mènera à un porno bien salace, ses rendez-vous secrets alimenteront la plus romantique des idylles, le métissage des classes ferait éclore le plus éclairant des drames sociaux, ses assises industrielles préparent la table pour une éducative peinture des mœurs et des bouleversements historiques, et combien d’autres possibilités encore.


La cinéaste Pascale Ferran a opté pour la voie du centre : charnelle, incarnée, minutieusement charpentée et un brin naturaliste, son adaptation du roman de D.H. Lawrence affiche un classicisme cohérent, de bon goût, qui pourrait facilement passer pour la version définitive de ce monument de la littérature anglaise. Voilà une œuvre bien de son temps, à une époque où les péplums et la dentelle font un retour aussi triomphant qu’inopiné sur les écrans, où la rigueur des formalistes à la mode épouse parfaitement les films ‘en costumes’, où Gabrielle, Marie Antoinette, et maintenant cette Lady Chatterley sont les nouveaux prénoms d’un idéal romantique féminin à la manière des starlettes iconiques des magazine de beauté.


Or il faut voir cette adaptation, exquise de délicatesses et de manières puisse-t-elle être, comme une interprétation étroitement française d’un drame dont les perversions toutes britanniques auraient été sciemment édulcorées. Le Prix Louis-Delluc, qui l’a tardivement consacré (présent à Berlin plusieurs mois après sa sortie en France) est éloquent à cet égard : le travestissement de ce récit outre-Manche en roman de la rose, sans rien enlever des qualités de son incarnation française, esquive l’esprit de l’œuvre originale.


Il est bon se rappeler que D.H. Lawrence, fils de minier et écrivain presque anti-moderne, a écrit Lady Chatterley’s Lover (« l’amant » est absent du titre français) à l’encre noire et sulfureuse, en faisant de la répression de cette épouse délaissée le moteur de son éclosion à l’extérieur du nid marital, alors que Ferran dépeint ni plus ni moins la Dame Chatterley comme un être infantilisé soumise à une vertu accommodante.


Cloîtrée dans son domaine, Constance Chatterley occupe tant bien que mal ses jours loin de Clifford, son mari accaparé par les affaires de sa compagnie d’exploitation minière, bien représentative du premier boom industriel au Royaume-Uni. Confiné à une chaise roulante, Clifford ne peut honorer son épouse d’une descendance. À l’autre bout du domaine, Parkin entretient un refuge et construit des enclos loin de ses patrons. Tardivement, Constance tombe sous le charme de son installation, puis, sans crier gare, des attributs de son garde-chasse. Leur nouvelle intimité est empreinte d’innocence plus que de véritable passion, jusqu’à ce que les amants se mettent à rêver d’un confort durable bien à eux à l’extérieur du domaine.


Paru en France 30 ans avant sa publication en Angleterre, le roman de Lawrence, qui devait s’intituler Tenderness en premier lieu, diffère en plusieurs points de l’adaptation de Ferran. Exit la grossesse hors mariage de Lady Chatterley, tout comme le langage cru des rapports sexuels : la relation entre Parkin (nommé Oliver Mellors dans le roman) ne se limite qu’à une suite d’éclaircies sentimentales entre deux individus dont on aurait retiré toute conscience et tout remords face à l’interdit de leur union.


Aux « fuck » parsemant les descriptions de Lawrence, la cinéaste maintient une bienséance et une courtoise indéfectibles durant les coïts répétés entre la patronne et son employé. Ferran préfère visiblement le comportement à l’émotion, la dynamique à la politique, le vraisemblable à l’historique, ce qui confère une force intemporelle à son film, accompagné d’une distanciation appliquée somme toute frustrante. Si on devient rapidement familier avec les corps de Constance et Parkin, on ne parviendra jamais à percer leurs pulsions, et encore moins leur âme.


On sort néanmoins de Lady Chatterley comme d’un rêve, avec l’envie d’y replonger rapidement et côtoyer à nouveau Marina Hands, l’interprète du rôle-titre, sa courtoisie et sa séduisante candeur. Il fait également bon de revoir Hippolyte Girardot au cinéma après une trop longue pause et fréquenter le décor de ces jeux interdits habillé d’une chatoyante lumière par Julien Hirsch, un habitué de Téchiné et Godard.


© 2007 Charles-Stéphane Roy